FOCUS
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Séries françaises et diversité : une amélioration à confirmer

Par Alexandre Diallo, chercheur postdoctoral à l’Université Paris 1 Sorbonne, chargé d’enseignement à SciencesPo Paris et chercheur affilié au centre Maurice Halbwachs (EHESS-ENS-CNRS) et Céline Morin, maîtresse de conférences, directrice du département Information-Communication de l’Université Paris-Nanterre, chercheure affiliée au laboratoire HAR / Irméccen (Paris Nanterre / Sorbonne Nouvelle).

En synthèse : La consommation de fictions sérielles par le public français s’accompagne de deux phénomènes liés à l’influence des images qu’il convient de renforcer : la consolidation de l’importance des comédiennes dans les fictions les plus populaires et la progression timide de la diversité ethnique à l’écran.

Les séries comptent parmi les programmes les plus populaires. En 2019, les deux plus fortes audiences de France 3 correspondaient à la diffusion de Capitaine Marleau (8 600 000 spectateurs soit 33,6% de parts de marché le 9 avril 2019 et 8 100 000, soit 30,1% le 22 octobre 2019). Sur TF1, la série Le Bazar de la charité était la 3e meilleure audience de la chaîne après les matchs de l’équipe (féminine) de France lors de la Coupe du monde et le programme de divertissement « Le Monde des Enfoirés » avec 8 200 000 (32 % PdM) le 18 novembre. Ces deux séries françaises, tout comme Julie Lescaut (TF1, 1992-2014), Joséphine Ange Gardien (TF1, 1997- ) ou Plus Belle la Vie (France 3, 2004-) atteignent des audiences proches de celles des séries télévisées américaines comme CSI les Experts Miami (TF1, 2003-2013), Grey’s Anatomy (TF1, 2006- ) ou The Mentalist (TF1, 2010-2015).

Le visionnage de séries est depuis les années 2000 une pratique transversale aux âges et aux catégories sociales1, un phénomène qui ne s’est qu’amplifié depuis. D’autant, comme le soulignent les études sociologiques, que les séries sont désormais appropriées jusque dans les milieux supérieurs qui, distinction oblige, les ont d’abord tenues à distance. Elles occupent désormais la place qui fut traditionnellement dévolue au roman puis au cinéma2. La consommation des séries télévisées tire parti de la coexistence de chaines télévisées (chaines hertziennes, câble…) et de la présence de plateformes de streaming (Amazon, Netflix, Apple TV, Disney Plus…). Ainsi, en 2017, presque 70 % des 15-24 ans, 60% des 25-34 ans, 57% des 35- 49 ans et 50% des 50-64 ans ont regardé des séries en dématérialisé3. L’analyse de l’offre en France montre que la consommation de fictions sérielles par le public français s’accompagne de deux phénomènes liés à l’influence des images.

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CONSOLIDATION DE L’IMPORTANCE DES COMÉDIENNES DANS LES FICTIONS LES PLUS POPULAIRES

En premier lieu, on peut remarquer la très grande popularité de séries construites ou portées par des personnages principaux féminins. Depuis Julie Lescaut (TF1, 1992-2014) jusqu’au Bazar de la Charité (TF1, 2019), en passant par la Capitaine Marleau (France 3, 2015-), les femmes sont souvent les protagonistes principales de fictions sérielles
adoubées par le public. Jadis cantonnées au rôle de subalternes ou d’accompagnantes, elles occupent désormais des rôles complexes et multidimensionnels dans des fictions qui vont du drame policier à la comédie dramatique ou au feuilleton sociétal. Historiquement, les héroïnes ont souvent été celles de séries jugées peu risquées par les industriels, reléguées soit au format court (les sitcoms), soit à des rôles rassurants, intégrés dans un ordre républicain (la policière, la gendarme, l’enquêtrice…), aux performances de genre classique, non autoritaire et empathique. Aujourd’hui, elles restent gendarmes mais ne s’excusent plus de s’affirmer (Capitaine Marleau) et des formats dispendieux comme le feuilleton historique leur sont confiés (Le Bazar de la charité), signe d’un investissement confiant des industriels.

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Connues, déjà établies au cinéma ou dans des fictions sérielles précédentes, elles peuvent aussi permettre l’émergence de comédiennes. D’abord centrées sur la femme hétérosexuelle blanche, celles-ci (Dix pour cent, Plus Belle la Vie, Profilage, Le Bureau des Légendes) s’intéressent désormais à une représentation genrée plurielle, tissant différentes sexualités, professions ou ethnies. La représentation à l’écran, même si elle est encore inférieure à celle des hommes, est ainsi de plus en plus en prise avec la société française.

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PROGRESSION TIMIDE DE LA DIVERSITÉ ETHNIQUE À L’ÉCRAN.

D’abord cantonnés à des rôles racisés (Capitaine Justin N’Guma dans Julie Lescaut), les comédien.ne.s issu.e.s de la diversité commencent progressivement à accéder à des rôles plus variés. Trois séries populaires lancées en 2020 illustrent les relatifs progrès obtenus dans l’accès aux premiers rôles par les comédien.ne.s issu.e.s de la diversité.

Comptabilisant plus de 20 millions de téléchargements sur la plateforme MyCanal, la série Validé (Canal Plus, 2020) montre l’industrie du rap et permet de déconstruire plusieurs clichés sur la banlieue, les jeunes qui y habitent et ce genre musical. Inspirée du film éponyme, la série Il a déjà tes yeux (France 2, 2020) s’appuyant sur un casting majoritairement noir (Lucien Jean Baptiste, Aïssa Maïga, Manda Touré) permet au public français de suivre les aventures de la famille Aloka et ainsi de réfléchir à des thèmes sociétaux tels que la mixité ethnoraciale et l’adoption. Plus récemment, la série créée en septembre 2020 par Matthieu Longatte sur Canal+ offre une vision inhabituelle de la banlieue, en ce qu’elle apparaît comme un espace quotidien normal et sans stigmate particulier, en s’appuyant sur un groupe de comédien.ne.s varié.e.s et issu.e.s de la diversité. Toutefois, ces trois exemples restent exceptionnels : seuls 11% des personnages de fictions sont perçus par les téléspectateur·rices comme « non-blancs » lorsque l’on neutralise la chaîne France Ô (Baromètre de la diversité du CSA, 2019). Pour autant, la fiction (sérielle) française en augmentant le nombre de personnages issus de la diversité présentes à l’écran contribue pour une large part à l’élargissement de cette représentativité et prouve son succès auprès des (télé)spectat.eur.rice.s.

“LES PROGRÈS RÉALISÉS DANS LA FICTION FRANÇAISE DOIVENT ÊTRE SOULIGNÉS POUR MIEUX LES ENCOURAGER.”

Ces deux tendances permettent de mettre en avant les progrès réalisés. Elles caractérisent l’évolution contemporaine de la production sérielle et correspondent à une demande du public que les réseaux sociaux (Twitter, Facebook…), notamment, rendent elles-mêmes plus visibles. Outre que le public peut désormais regarder des fictions mettant en scène une diversité plus en accord avec la réalité de la société française, les séries permettent aux (télé)spectat.eur.rice.s de construire une relation d’attachement et de compréhension qui sont au centre de la cohésion sociale.

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L’Observatoire des images est le premier organe associatif français travaillant sur les questions de représentativités et de lutte contre les clichés au cinéma, à la télévision et dans les publicités, notamment sur internet.

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