FOCUS
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Représentations à l’écran : vers un engagement fort des professionnel·le·s

Avec Impact Film, structure d’investissement dans les films de cinéma et de télévision qui changent le regard des spectatrices et spectateurs sur le monde, et Le Lab Femmes de cinéma, émanation des Arcs Film Festival, travaillant à faire bouger les lignes pour une meilleure représentation des femmes dans le secteur.

En synthèse : Première initiative du groupe de travail des professionnel·le·s au sein de l’ODI présidé par le producteur Harry Tordjman, l’enquête menée en novembre 2021 et relayée par le Film Français montre que les professionnel·le·s des secteurs du cinéma et de l’audiovisuel accordent un intérêt croissant à l’influence de leur travail sur les enjeux de représentations à l’écran. La plupart fait état néanmoins d’une nécessité de lever les freins encore existants au sein de l’industrie et appelle à une mobilisation collective.

CONTEXTE DE L’ENQUÊTE

Les images façonnent notre perception du monde. Les contenus audiovisuels dans lesquels nous sommes immergés, au cinéma, la télévision et les plateformes de diffusion de contenus audiovisuels participent à la construction de nos imaginaires. Aujourd’hui, les femmes, les minorités ethniques, les personnes LGBTI+, les personnes en situation de handicap ou d’autres individus issus de groupes minorisés, sont peu – ou mal – représentés dans les contenus audiovisuels.

C’est à partir de ce constat que l’Observatoire des images (ODI), en partenariat avec Impact Film et les Arcs Film Festival, a réalisé une enquête préliminaire pour établir un premier état des lieux de la sensibilisation des professionnel·le·s du cinéma, de la télévision et de l’ensemble des plateformes de diffusions de contenus audiovisuels aux enjeux des représentations à l’écran.

Pour cette enquête, l’ODI a interrogé une centaine de professionnel·le·s, afin de poser les fondements de la réflexion.

L’échantillon est paritaire (les femmes sont légèrement majoritaires) et regroupe divers corps de métier du secteur : production, financement, exploitation, programmation, ventes internationales, diffusion et distribution. Les répondant·e·s ont en majorité entre 35 et 50 ans et travaillent globalement depuis plus de 15 ans dans l’industrie pour un ou plusieurs secteurs : le cinéma (85%), la télévision (70%) ou
les plateformes (40%).

Ce premier travail sera approfondi ensuite en élargissant la base de répondant·e·s et des fonctions qu’elles et ils occupent.

« On m’a dit à plusieurs reprises que mettre en avant d’autres réalités  sur les milieux populaires ou sur certaines communautés ne rendait pas mes histoires crédibles aux yeux du public. »

Scénariste et réalisatrice d’origine nord-africaine,
plus de 15 ans d’expérience

UNE SENSIBILISATION DE PLUS EN PLUS ACCRUE

La quasi-totalité des personnes interrogées s’est déjà intéressée par le passé à l’influence des images sur lesquelles elles travaillent, contre seulement 5% qui ne s’y sont jamais penchées.

D’ailleurs, si un tiers considère que le contenu audiovisuel et cinématographique joue globalement un rôle dans les représentations qui circulent au sein de la société, plus de la moitié estime que ce contenu peut parfois avoir un réel impact sur la représentation que se fait le public de certains thèmes.

Parmi ceux-ci, pour lesquels le panel indique porter une attention particulière, sont cités spontanément : la place des femmes (88%) ; la diversité culturelle (81%) ; le handicap (72%) ; les problèmes sociaux (70%) ou encore le climat et l’environnement (66%).

« Lorsque nous choisissons un projet, les problématiques liées à la diversité, la place des femmes et l’inclusion sont au centre de nos préoccupations. »
Distributeur, plus de 15 ans d’expérience

En ce qui concerne le choix des projets, la moitié des répondant·e·s indique privilégier ceux qui abordent des thèmes sociétaux, qui appellent à l’action ou pourraient avoir un impact potentiel sur les consciences.

Cette attitude varie néanmoins selon les âges et le niveau d’expérience professionnelle. Ainsi, les personnes les plus anciennes dans le métier (plus de 20 ans) ont tendance à privilégier les projets plutôt selon leur potentiel de popularité et le casting. Celles arrivées plus récemment (moins de 20 ans) sont plus enclines à se diriger vers des projets comportant un certain impact ou un appel à l’action.

Cette sensibilité accrue en fonction de l’âge se retrouve dans plusieurs indicateurs. Ainsi, les professionnel·le·s les plus jeunes sont davantage enclin·e·s à refuser de prendre part à des projets en raison de divergences idéologiques, de représentations stéréotypées ou de relations problématiques entre les personnages, que celles et ceux qui exercent leur métier depuis de plus nombreuses années.

photo focus 10

Atelier le Lab «Femmes de Cinéma »
Les Arcs Film Festival

CERTAINS FREINS AU SEIN DE L’INDUSTRIE

Si le panel interrogé semble de plus en plus sensible aux enjeux liés à la représentation à l’écran, les répondant·e·s identifient certains freins à cette prise de conscience sur lesquels travailler.

Ainsi, près de deux tiers des personnes interrogées pensent que l’intervention dans un projet pour gommer les clichés qu’il contient est à la fois un devoir qui relève de leur responsabilité, mais aussi un apport pour enrichir les contenus. Très minoritaires (<1%) sont ceux qui indiquent que la modification d'un scénario relève d'une intrusion dans le travail des créateurs et créatrices.

Pourtant, seuls 55% se permettent de travailler à retoucher un scénario en ce sens et uniquement 14% à proposer un casting avec plus de diversité que celui initialement imaginé.

Pourtant, seuls 55% se permettent de travailler à retoucher un scénario en ce sens et uniquement 14% à proposer un casting avec plus de diversité que celui initialement imaginé. Les répondant·e·s font en effet valoir que leur volonté d’engagement est parfois freinée par leurs interlocutrices et interlocuteurs au sein de l’industrie. Par exemple :
– l’un d’eux déplore un véto financier sur un sujet relatif à l’homosexualité ;
– une autre souligne la difficulté à trouver des diffuseurs pour des projet traitant de religion, lorsqu’il ne s’agit pas d’intégrisme ;
– une troisième fait part de réactions « aussi violentes que virulentes » lors de la sortie d’un film sur la crise migratoire ;
– un quatrième témoigne d’attitudes frileuses à l’égard de la représentation des femmes âgées, notamment au sein de couples intergénérationnels.

UN BESOIN D’OUTILS COLLECTIFS 

Une majorité des personnes interrogées indique bénéficier des outils nécessaires pour travailler sur les enjeux liés à la représentation à l’écran. Parmi les initiatives mentionnées, qui stimulent leur réflexion : le Collectif 50/50, la Commission Images de la diversité, l’Observatoire de la diversité du Conseil supérieur de l’audiovisuel, et le Lab « Femmes de Cinéma ».

Cependant, encore un quart des répondant·e·s peine à trouver les ressources nécessaires pour s’informer sur ces problématiques.

Plusieurs besoins sont exprimés :
– la mise en en relation avec d’autres professionnel·le·s de l’image sensibles à ces enjeux pour échanger et se renforcer ;
– la mise en place d’un annuaire recensant des chercheur·e·s et universitaires travaillant sur ces questions ;
– le développement d’un guide en ligne proposant des éclairages succincts sur les enjeux de représentation ;
– la création d’un service offrant des relectures de scénario pour gommer les clichés.

« Je suis amenée à modifier de façon régulière mes croyances quant à la représentation des femmes et des minorités à l’écran. Je travaille en conséquence en permanence avec les autrices et auteurs sur les sujets que je choisis, développe et produis. »
Productrice, plus de 15 ans d’expérience

Cette première enquête du groupe de travail des professionnel·le·s de l’image au sein de l’ODI démontre que la réflexion portant sur les enjeux de représentation se développe peu à peu. Construite autour d’un panel d’initiatives lancées depuis quelques années, elle se dissémine chez un nombre croissant de celles et ceux qui travaillent pour le cinéma, la télévision et les plateformes. Toutefois, cette réflexion se heurte encore à des obstacles sur lesquels il convient de travailler collectivement. La sortie des clichés hégémoniques, au service de représentations plus justes, permet à la fois d’enrichir les contenus, d’intéresser de nouveaux publics et de contribuer à la justice
sociale.

L’Observatoire des images, créé en 2021, est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent au rôle des images au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéos et dans les publicités, notamment sur Internet.

Convaincus que les images peuvent figer les représentations et enfermer dans des stéréotypes, ou au contraire permettre l’émancipation et ouvrir le champ des possibles, les partenaires de l’observatoire se sont réunis pour réfléchir et agir ensemble, que ses membres travaillent dans la production, la distribution, le financement, la communication, la recherche, les institutions…

Les objectifs de la coalition sont notamment de :
– sensibiliser les pouvoirs publics, les professionnels et le public ;
– développer la recherche sur la réception des images et mettre en lumière les travaux existants ;
– agréger et soutenir les pratiques professionnelles ;
– valoriser les projets et les équipes soucieux de lutter contre les clichés.

Rejoignez-nous : observatoiredesimages.or