FOCUS
#06

Happy end pour tous ? – L’importance de diversifier les récits LGBTQ+

Avec Manon Ardisson, productrice chez Ardimages UK, société de production de films et de télévision basée à Londres – partenaire de l’Observatoire des images, ayant à coeur de développer des projets qui défient les normes et contribuent au changement par le biais du divertissement.

En synthèse : Depuis une vingtaine d’années, un intérêt grandissant est porté à la représentation des minorités sexuelles au cinéma et dans l’audiovisuel. Cependant, plus que la fréquence d’apparition, ce sont la qualité et la diversité des personnages et des rôles qui revêtent un enjeu. Face aux stéréotypes qui persistent globalement dans ces contenus, de plus en plus de réalisatrices et réalisateurs s’engagent afin d’offrir des représentations originales des personnages LGBTQ+. Cet effort requiert cependant le soutien de productrices et producteurs engagés pour soutenir cette impulsion.

La production du film God’s own country de Francis Lee (2017) a rencontré bon nombre d’obstacles, notamment en raison du fait que le scénario paraissait trop « niche » pour parler au grand public, une audience qui est présumée hétérosexuelle. La singularité de l’intrigue du scénario réside en fait dans sa simplicité : une histoire d’amour entre deux hommes, un fermier du Yorkshire et un immigré roumain. Dans le scénario, les difficultés que les personnages rencontrent sont en effet davantage liées aux difficultés propres au jeu amoureux, qu’à des considérations liées à leur genre et à celui de la personne qu’ils aiment.

Pourtant, la représentation des minorités sexuelles à l’écran n’a jamais été aussi importante. Au Royaume-Uni, 121 personnages réguliers LGBTQ+ figurent ainsi dans les programmes diffusés en début de soirée pour la saison 2019-2020.

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God’s own country, Francis Lee, 2017

Récemment, de nombreux films mettant en scène des personnages aux sexualités minoritaires ont marqué les esprits, comme Moonlight de Barry Jenkins (2016), Call Me by your name de Luca Guadagnino (2017) ou encore Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (2019). Cependant, la fréquence d’apparition n’est pas le seul élément pertinent : de nombreux stéréotypes demeurent dans les représentations à l’écran. Ainsi, le critère quantitatif ne doit pas occulter l’aspect qualitatif : il ne s’agit pas seulement de faire apparaître des minorités pour que les images ne figent pas les imaginaires, il faut veiller à ce que celles-ci ne renforcent pas les clichés.

Les types d’intrigues – à travers lesquelles les personnages issus des minorités sexuelles ont l’occasion de prendre vie et s’exprimer à l’écran – comptent.

DIVERSIFIER LES AXES NARRATIFS

Dans les faits, les histoires associées aux minorités sexuelles sont souvent marquées par le tragique. Nécessairement seuls, trahis, ou morts, ces profils stéréotypés sont par exemple au cœur de films érigés comme monument du patrimoine cinématographique gay, notamment Brokeback Mountain de Ang Lee (2005), Boys don’t cry de Kimberly Pierce (1999) ou Philadelphia de Jonathan Demme (1993). Cette condamnation des personnages LGBTQ+ est devenue un arc narratif tellement usé que les critiques de films en ont fait un genre, les films “Bury your gays”, soit « Enterrez vos homos ».

Bien sûr, les dénouements tragiques de films consacrés aux minorités sont ancrés dans une oppression historique des individus, et il est important de ne pas nier la violence dont ont été victimes ces communautés. Mais dans le monde occidental, où l’homosexualité est dépénalisée depuis au moins quarante ans, les narrations qui mettent en jeu des personnages queer peuvent être diversifiées. Les comédies romantiques hétérosexuelles sont, elles, largement dispensées des exigences de réalisme qui semblent incomber aux narrations alternatives. La question n’est pas de fantasmer des relations LGBTQ+, mais seulement de permettre aux personnages associés de gagner en légèreté dans la fiction. Cela passe par le fait de cesser de cantonner les minorités sexuelles aux drames ou au films historiques, et de leur laisser une place dans d’autres genre de films, notamment dans des comédies romantiques, des westerns, ou des films de science-fiction, en veillant de surcroît à ce qu’elles n’apparaissent pas sous des traits caricaturés. La plupart des enfants et adolescents queer grandissant dans des familles hétérosexuelles, les représentations médiatiques sont d’autant plus importantes pour la formation de leur propre identité, et leur projection dans les situations qu’ils pourront rencontrer en grandissant.

Il s’agit finalement d’autoriser les personnages minoritaires à prétendre à la même complexité narrative que leurs pendants majoritaires. C’est ce qu’a compris l’institut du film britannique (BFI) dont le soutien a permis le tournage de God’s own country, et qui a ensuite remis à Ardimages UK le prestigieux Vision Award en 2020. Sur le site de critiques agglomérées Rotten Tomatoes, le film est approuvé à 98 % par les critiques, avec une moyenne pondérée de 7,96/10.

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Portrait de la Jeune fille en feu, Céline Sciamma, 2019

Un an après sa sortie, des productions américaines comme Love, Simon de Greg Berlanti (2015) ou Sex Education de Laurie Nunn (2019) continuent d’élargir le champ en proposant des comédies romantiques adolescentes grand public qui dressent des portraits de personnages queer plus nuancés. Tout en subissant des oppressions, les personnages sont autorisés à plus d’espoir comme c’est le cas dans le film Carol de Todd Hayne (2016) ou Moonlight de Barry Jenkins (2016). Les fins elliptiques de ces deux films ne cloisonnent aucun avenir certain et suggèrent que les amants pourraient se retrouver et vivre un dénouement heureux.

SORTIR DE L’ESSENTIALISATION

Une fois les minorités libérées de leur destin tragique, reste à leur permettre de sortir de leur assignation à l’écran, en prévoyant que leur personnage soit défini au-delà de sa sexualité. La vaste majorité des productions, même si elles se veulent progressistes, inscrivent en effet ces personnages dans des intrigues ou leurs sexualités sont prépondérantes. Certaines séries télévisées ont pris de l’avance : Andrea Martel dans Dix pour cent diffusée dans l’hexagone par France 2 (2015-2020) ou David Rose dans Schitt’s Creek diffusée en France par Canal+ (2015-2020), tous deux personnages LGBTQ+, évoluent dans un contexte où leur sexualité n’est pas une question ou un enjeu narratif stigmatisant.

Megan Townsend, directrice de la recherche chez GLAAD, association qui promeut la présence de personnes LGBTQ+ dans les médias, le souligne : « Nous voulons voir plus de personnages dont l’enjeu n’est pas la révélation de leur homosexualité, ou qui se limitent à jouer le rôle du profil LGBTQ+ de service », à l’instar de la série Easy (2016) diffusée en France par Netflix, qui s’intéresse notamment aux questions quotidiennes d’un couple lesbien, comme elle traiterait d’une relation hétérosexuelle.

L’équilibre reste cependant précaire entre la reconnaissance d’une histoire collective des minorités d’une part, et la liberté d’exister comme personnages et artistes au-delà d’identités auxquelles on voudrait les circonscrire. Une attention particulière doit être portée aux tentations de « tokenisme » qui guettent les productions cinématographiques.

Cette pratique consiste à réaliser des efforts symboliques d’inclusion vis-à-vis de groupes minoritaires dans le but d’échapper aux accusations de discriminations. De nombreuses séries incluent presque de manière automatique à leur narration un personnage homosexuel dont le récit est bâclé et centré sur des stéréotypes.
C’est par exemple le cas de Daniel Franzese qui incarne dans Mean Girls de Tina Fey (2004) le traditionnel ami gay (Damian), excessivement maniéré et sans réel rôle dans le déroulement de
l’histoire. Le cinéma utilise ainsi trop facilement des personnages uniformes comme étendards de leur spécificité afin de se prémunir de toutes accusations.

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Moonlight, Barry Jenkins, 2016

LE RÔLE DE LA PRODUCTION

La place des minorités sexuelles à l’écran est biaisée de longue date : dans son documentaire, Disclosure (2020), le réalisateur Sam Feder démontre par exemple que c’est depuis la création du cinéma et de la télévision américains que les personnes transexuelles sont représentées de façon discriminée.

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Disclosure, Sam Feder, 2020

Les minorités sexuelles ne demandent pourtant qu’à être dépeintes comme les autres, ainsi qu’en témoignent les hommes et femmes homosexuels qui racontent leurs amours, leurs luttes, et leurs désirs dans Les invisibles (2012) de Sébastien Lifshitz. Encore faut-il cependant laisser chacune et chacun habiter l’écran avec plus de liberté que dans les narrations stéréotypées actuelles.

C’est l’ensemble du secteur, à commencer par les productrices et producteurs, qui doit soutenir ces dynamiques de réalisation, pour faire passer l’attention de la seule visibilité des minorités sexuelles à l’écran à la diversité des récits les concernant.

L’Observatoire des images est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent à l’influence des images au cinéma, à la télévision et dans les publicités, notamment sur Internet.

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