FOCUS
#09

De 1950 à aujourd‘hui, des dessins animés d’un nouveau genre ?

Par Mélanie Lallet, sociologue des médias, auteure de l’ouvrage « Libérées, délivrées ? Rapports de pouvoir animés » (INA, 2014), maître de conférences à l’UCO Nantes, membre du laboratoire Arènes et responsable d’axe au Centre Humanités et Sociétés, associée à l’Institut de recherche médias, cultures, communication et numérique (Irméccen).

En synthèse : L’analyse des représentations de genre figurant dans les programmes animés français des années 1950 à nos jours ne permet pas de constater une progression linéaire vers l’égalité, même si ces programmes ont su pour certains faire davantage de place aux figures féminines et proposer des modèles allant à l’encontre des stéréotypes.

DES ÉVOLUTIONS NUANCÉES EN TERMES DE
DYNAMIQUE DE GENRE ENTRE 1950 ET 1990

S’il existe un rapport complexe de double influence entre la télévision et la société, la recherche démontre que les dessins animés français depuis les années 1950 ne sont pas de plus en plus égalitaires et représentatifs de l’évolution de cette dernière. Les premiers, produits entre 1957 et 1974, souffrent non seulement d’une très forte pénurie de personnages féminins (seulement 17,9% du total), mais ont pu aussi pour certains présenter un fonctionnement à rebours, qui accentue les inégalités de genre dans leurs versions les plus récentes. Les séries « Bonne nuit les petits » de Claude Laydu dérivent au fil des années d’une vision égalitaire de Mirabelle et Petit Louis (les ancêtres de Nicolas et Pimprenelle), vers une vision différenciée de ces personnages enfants : en 1962, Petit Louis utilise volontiers le fer à repasser, tandis que dans la version de 1995, Nicolas refuse catégoriquement de s’adonner aux tâches ménagères, prises en charge par Pimprenelle.
D’un point de vue strictement quantitatif, la période suivante de 1975 à 1989 laisse toujours peu de place aux femmes, avec en moyenne 19,6% de personnages féminins.

Marquées par le « syndrome de la Schtroumpfette », les productions de cette période se contentent souvent d’un unique personnage féminin qui sert de faire-valoir au héros masculin blanc. C’est le sort qui est réservé à la jeune Sophie dans Inspecteur Gadget (1983-1986, FR3), qui aide son oncle en restant dans l’ombre et n’est jamais  récompensée pour ses exploits, ou encore de la jeune inca Zia, toujours victime de quelque enlèvement venant l’arracher au jeune héros espagnol Estéban dans « Les mystérieuses cités d’or » (1982-1983, Antenne 2).

photo focus 9

Sophie, « Inspecteur Gadget », 1982

DEPUIS LES ANNÉES 1990, LES PERSONNAGES
FÉMININS SONT PLUS NOMBREUX À L’ÉCRAN
ET DANS DES RÔLES PLUS COMPLEXES

Entre 1990 et 2004, la proportion de personnages féminins augmente tout doucement pour atteindre une moyenne de 25,3%. Au-delà de l’aspect quantitatif, les années 1990 permettent le traitement de nouvelles thématiques, comme la recomposition familiale ou la sexualité, par exemple dans l’audacieuse série d’éducation à la sexualité « Le Bonheur de la vie » (1991, FR3), dont la diffusion fut contestée par certaines associations religieuses, ou alors dans « Les Zinzins de l’espace » (1997-1998 saison 1 ; 2005-2006 saison 2, France 3), dessins animé qui impose à l’écran l’extraterrestre Candy, personnage homosexuel à l’identité de genre non binaire.

photo focus 9 1

Candy, « Les Zinzins de l’espace », 1997

Les années 1990 sont cependant aussi l’occasion de retour d’imaginaires plus anciens, dans lesquels on retrouve l’idéalisation d’aventuriers masculins, où le féminin n’a pas vraiment sa place, à l’image par exemple des séries « Il était une fois… » (… « les Amériques », 1991, Canal+ ; « les découvreurs », 1994, Canal + ; « les explorateurs », 1996, Canal+) signées Albert Barillé, ou des nouvelles aventures des héros de la bande dessinée comme « Lucky Luke »
(1991-1992, FR3) et « Les Aventures de Tintin » (1992, France 3). En tendance, toutefois, il existe une diversification notable progressive des identités féminines et masculines mises en scène dans les programmes jeunesse, qui s’accentue à l’aube des années 2000.

D’un point de vue quantitatif, la proportion de personnages féminins vient se hisser à 31,3% entre 2005 et 2014, période marquée par l’arrivée de la télévision numérique terrestre et de la chaîne pour enfants Gulli. Ce chiffre reste faible, mais légèrement plus élevé que dans les autres médias. La décennie est marquée par l’émergence d’héroïnes combatives, comme les espionnes de « Totally Spies ! » (2002-2007 saisons 1 à 5 ; 2013 saison 6, TF1), qui ouvrent la voie à d’autres personnages féminins forts. Par exemple, la série « Code Lyoko » (2003-2007, France 3), qui fait écho à la lutte pour la reconnaissance des identités telle qu’elle est portée par le féminisme queer et déconstructiviste. Les sentiments des jeunes personnages de la série, tous un peu atypiques, se développent sur la base du partage des passions et de la ressemblance plutôt que de la complémentarité. Cette ressemblance fille-garçon contribue à déconstruire certains stéréotypes : Yumi et Ulrick partagent un caractère solitaire et la pratique des arts martiaux ; Jérémie et Aélita, une grande imperméabilité aux normes sociales et une passion pour l’informatique.

photo focus 9 2

Jérémie et Aélita, « Code Lyoko », 2004

VERS UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES
PROBLÉMATIQUES LIÉES AU GENRE

Aujourd’hui encore, la norme dans les séries d’action-aventure reste l’unique personnage féminin tout de rose vêtu, entouré de deux ou trois personnages masculins, afin d’incarner la touche féminine supposée satisfaire les spectatrices. Des initiatives notables existent néanmoins, à l’image de la série « Les Culottées », adaptée de l’œuvre de Pénélope Bagieu, diffusée en 2020. Son ambition était de porter à l’écran les thématiques du féminisme contemporain, tout en relevant le défi de s’adresser aux enfants comme aux adultes. L’audace étant parfois sujette à certains revers dans les industries culturelles, sa diffusion sur les chaînes du groupe France Télévisions a été interrompue après quelques épisodes.

Le série « Chouette, pas chouette », développée en 2021 dans l’objectif de lutter contre les stéréotypes de genre, a été proposée par plusieurs diffuseurs (France Télévisions, Disney Channel, Gulli, Piwi+, Nickelodeon, TF1, et Bayard jeunesse). Ces 16 épisodes ont été produits avec l’appui du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) et la série a été en parallèle déclinée en un livret pédagogique pour permettre aux professeur·e·s des écoles de développer leurs actions en éducation aux médias et à l’information sur le thème de l’égalité filles/garçons, de la maternelle à la 6e.

C’est souvent par le dialogue et l’action combinée des différentes parties sensibilisées au rôle des images et des représentations que le sujet progresse. Ainsi, l’équipe de production de la série à succès « Miraculous. Les Aventures de Ladybug et Chat Noir » (TF1, 2015-…) dialogue avec ses fans pour faire advenir, au fil des saisons, des personnages secondaires homosexuels et non binaires.

photo focus 9 3

Ladybug et Chat Noir,
« Les aventures de Ladybug et Chat Noir », 2015

Par exemple, les camarades de classe des deux héros, Rose et Juleka, forment un couple lesbien qui a été canonisé au fil des saisons. Certes très discrètes à l’écran, les fans se saisissent de ces représentations pour produire en ligne des fanfictions qui les placent au centre de leurs intrigues. On observe exactement le même phénomène pour le couple formé par les collégiens Marc et Nathaniel, encore plus implicite à l’écran mais d’autant plus présent dans les créations de fans sur internet.

L’Observatoire des images, créé en 2021, est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent au rôle des images au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéos et dans les publicités, notamment sur Internet.

Convaincus que les images peuvent figer les représentations et enfermer dans des stéréotypes, ou au contraire permettre l’émancipation et ouvrir le champ des possibles, les partenaires de l’observatoire se sont réunis pour réfléchir et agir ensemble, que ses membres travaillent dans la production, la distribution, le financement, la communication, la recherche, les institutions…

Les objectifs de la coalition sont notamment de :
– sensibiliser les pouvoirs publics, les professionnels et le public ;
– développer la recherche sur la réception des images et mettre en lumière les travaux existants ;
– agréger et soutenir les pratiques professionnelles ;
– valoriser les projets et les équipes soucieux de lutter contre les clichés.

Rejoignez-nous : observatoiredesimages.org