FOCUS
#14

ET SI BARACK OBAMA DEVAIT SON ÉLECTION À « 24 HEURES CHRONO » ?

En synthèse : Les films et les séries de fiction américaines ont généralement mis en scène des présidents ressemblant à ceux qui ont été élus au XXème siècle. Toutefois, depuis les années 1990, des présidents noirs sont de plus en plus projetés dans les imaginaires collectifs, comme David Palmer dans la série « 24 Heures chrono ». La réception de ce personnage par une audience gigantesque a télé transporté ce dernier de la fiction aux salons familiaux, jusque dans le débat public, contribuant avec d’autres icônes populaires à la popularité de Barack Obama.

Les minorités ethno-raciales aux Etats-Unis d’Amérique sont largement sous-représentées dans la classe politique. Un seul président noir a été élu dans l’histoire de la fédération et l’actuel Congrès américain compte seulement 57 représentants noirs sur 535. Toutefois, le monde du cinéma, et en particulier Hollywood, a peu à peu développé un imaginaire plus diversifié que la réalité institutionnelle. Au cinéma, le premier président noir fut James Earl Jones dans « the Man » (1972) aux lendemains du mouvement américain pour les droits civiques.

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Le président Dilman dans the Man (1972)

Il a fallu toutefois attendre la fin des années 1990 pour que la télévision américaine mette en scène un tel personnage : David Palmer dans la série « 24 Heures chrono ».

LES PRÉSIDENTS AMÉRICAINS, ENTRE FICTION ET RÉALITÉ

La représentation des présidents à Hollywood relève de la fiction réaliste, genre qui traite ses personnages comme s’ils avaient une existence empirique, brouillant ainsi la frontière avec la réalité. Les décors sont authentiques et non extra-ordinaires, à l’image par exemple d’un bureau d’affaires.

Selon le chercheur Károly Pintér, ces fictions sont des prophéties auto-réalisatrices : seules les personnes conformes à la norme ethno-raciale, sociale ou physique des présidents qui apparaissent à l’écran sont élues dans le monde réel. Ainsi, la plupart des présidents ont été des hommes blancs, d’âge moyen, avec un nom de famille anglophone, une présence imposante et un caractère moral idéalisé, à l’image du président Marshall (Harrison Ford) dans « Air Force One » (1997) ou encore du président Whitmore (Bill Pullman) dans « Independence Day » (1996). Selon lui, ce rapprochement entre fiction et réalité est d’autant plus palpable que les milieux politiques et Hollywood sont interconnectés : ainsi certains scénaristes deviennent parfois conseillers des candidats, et inversement. Par exemple, Eli Attie, ex-rédacteur des discours du président Clinton devenu scénariste, s’est inspiré d’un discours de Barack Obama, pour créer le personnage de Matt Santos, jeune sénateur puis président dans la série The West Wing (2005).

DAVID PALMER, UNE ICÔNE CULTURELLE
QUI A CREVÉ L’ECRAN

Lancée en 2001, « 24 » est présentée comme ultra-réaliste puisqu’elle était même annoncée comme ayant été filmée en temps réel – un déplacement en voiture d’un des personnages dans un épisode équivalant par exemple à un déplacement dans la ville. Le président Palmer y est présent dès le début, soit six ans avant l’élection de Barack Obama, et jusqu’en 2006.

Palmer, interprété par Dennis Haysbert, est, certes, noir de peau mais son personnage ne subvertit jamais complètement l’image fictionnelle normative du président américain : homme de pouvoir courageux et droit dans ses bottes. Comme Obama, il parle avec un accent considéré comme « neutre » et n’est pas un ancien militant du mouvement pour les droits civiques. Ils présentent tous deux des profils pas si éloignés que celui de la figure du président américain conventionnel. Palmer comme Obama est « affable et soigné, poli à l’excès, doté d’un don pour la rhétorique et d’une voix onctueuse de baryton pour emballer le tout » selon Joshua Alston, historien à l’Université de Leeds. De plus, selon Erika Molloseau, spécialiste en communication à l’Université Denison, ces deux hommes sont chacun « éduqué[s], bien équilibré[s], presque trop beau[x] pour être vrai », et incarnent une image « alternative » de la « masculinité afro-américaine ».

Or, le personnage de Palmer a peu à peu dépassé la série pour atterrir dans l’espace public. Ainsi, l’acteur Dennis Haysbert raconte que les fans de la série l’arrêtent dans la rue en l’appelant « Président » et lui demandent de se présenter aux élections. Lors d’un dîner organisé par la Congressional Black Caucus Foundation en 2006, l’acteur a participé à une séance de questions-réponses comme s’il était un représentant politique. Le public l’a interrogé sur la réforme des prisons ou et la réinsertion des personnes toxicomanes. Des blogueurs lancent le slogan « Palmer pour président » et en 2015, 89% des personnes visionnant la série ont même déclaré que le personnage de Palmer était celui d’un président crédible dont elles seraient satisfaites s’il était à la tête du pays.

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Le président Palmer dans 24 Heures chrono
(2001-2006)

L’engouement pour un président noir ne se résume cependant pas à celui pour David Palmer : Morgan Freeman dans « Deep Impact » (1998) est souvent décrit comme montrant les qualités qu’un président devrait posséder dans la réalité. Selon le chercheur Maurice Ronai, ces présidents fictifs ont marqué les esprits : pas seulement en raison de leur couleur de peau, mais de leurs qualités : intégrité personnelle, sang-froid, mesure, retenue.

Reste que depuis la fin des années 1990, un ensemble d’icônes afro-américaines, dont David Palmer fait amplement partie, ont normalisé, voire rendu désirable, l’idée qu’un Noir puisse être élu président à la Maison blanche. Le chercheur François Durpaire, historien et auteur de « L’Amérique de Barack Obama » (Demopolis, 2008), considère que l’influence jouée par les images est vraiment décisif : « Dans une société de l’image, les représentations jouent un rôle primordial. Il n’y aurait sans doute pas de président Obama sans ces héros de fiction ».

L’Observatoire des images, créé en 2021, est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent au rôle des images au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéos et dans les publicités, notamment sur Internet. Convaincu.e.s que les images peuvent figer les représentations et enfermer dans des stéréotypes, ou au contraire permettre l’émancipation et ouvrir le champ des possibles, les partenaires de l’observatoire se sont réunis pour réfléchir et agir ensemble, que ses membres travaillent dans la production, la distribution, le financement, la communication, la recherche, les institutions…

Les objectifs de la coalition sont notamment de : sensibiliser les pouvoirs publics, les professionnels et le public ; développer la recherche sur la réception des images et mettre en lumière les travaux existants ; agréger et soutenir les pratiques professionnelles ; valoriser les projets et les équipes soucieux de lutter contre les clichés.

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