FOCUS
#14
Et si Barack Obama devait son élection à « 24 heures chrono » ?
En synthèse : Les films et les séries de fiction réaliste, notamment américains, mettent généralement en scène des présidents blancs, anglo-saxons et protestants (WASP), à l’image de ceux qui ont été élus au XXème siècle. Toutefois, depuis les années 1990, des présidents noirs sont de plus en plus mis en avant dans les imaginaires collectifs. L’un des exemples très emblématiques est David Palmer dans la série « 24 Heures chrono », élu au caractère moral exemplaire. La réception de ce personnage par une audience gigantesque a télé-transporté ce dernier de la fiction aux salons des familles américaines, jusqu’au débat public, contribuant avec d’autres icônes populaires à la popularité de Barack Obama.
Les minorités ethno-raciales aux Etats-Unis d’Amérique sont largement sous-représentées dans la classe politique. Un seul président noir a été élu dans l’histoire de la fédération et l’actuel Congrès américain compte seulement 57 représentants noirs sur 535. Toutefois, le monde du cinéma, et en particulier Hollywood, a peu à peu développé un imaginaire plus diversifié que la réalité institutionnelle. Au cinéma, le premier président noir fut James Earl Jones (The Man, 1972) aux lendemains du mouvement américain pour les droits civiques.
Plus tard, c’est Morgan Freeman qui sauve l’humanité menacée par la chute d’un astéroïde (Deep Impact, 1998).
Le choix d’un personnage Noir est parfois un des éléments centraux du projet, comme lorsque Chris Rock endosse le costume dans un film dont le slogan promotionnel était : « Seule la Maison est blanche » (Head of State, 2003).
Toutefois, si les présidents ont souvent été représentés sur le grand écran, il a fallu attendre la fin des années 1990 pour que la télévision américaine mette en scène un tel personnage.
Près de sept ans avant l’élection de Barack Obama, une série de fiction réaliste ouvre ainsi les imaginaires collectifs en installant le premier président noir à la Maison blanche : David Palmer, interprété par Dennis Haysbert. La fiction a-t-elle pu influencer la réalité, et contribuer à la normalisation de l’élection d’une personne noire à la présidence américaine ?
Les présidents américains, entre fiction et réalité
Parmi les différentes fictions (action, aventure, comédie…), certaines peuvent être plus ou moins réalistes, selon que leur narration contient des personnages et des paramètres crédibles et identifiables pour une audience contemporaine. La fiction réaliste traite ses personnages comme s’ils avaient une existence empirique, brouillant ainsi la frontière avec la réalité. Les décors sont authentiques et non extra-ordinaires, à l’image par exemple d’un salon, d’un bureau d’affaires, ou d’une rue.
Les présidents américains dans les productions hollywoodiennes relèvent des fictions réalistes. Selon Károly Pintér, chercheur spécialiste de l’histoire, de la littérature et de la religion étasuniennes, elles participent à la création de « prophéties auto-réalisatrices » : seules les personnes conformes à la norme ethno-raciale, sociale ou physique des présidents américains qui apparaissent à l’écran sont élues dans le monde réel. Selon lui, ce rapprochement entre fiction et réalité est d’autant plus palpable que les milieux politiques et Hollywood sont interconnectés : ainsi certains scénaristes deviennent parfois conseillers des candidats, et inversement. Par exemple, Eli Attie, ex-rédacteur des discours du président Clinton devenu scénariste, s’est inspiré d’un discours de Barack Obama, pour créer le personnage de Matt Santos, jeune sénateur puis président dans la série The West Wing (2005).
Avant l’élection de Barack Obama en 2008, les présidents américains au cours du XXème siècle ont pour la plupart été des hommes WASP (White Anglo-Saxon Protestant), à l’exception de J.F Kennedy, de confession catholique. Cette réalité se retranscrivait à l’écran : l’image prédominante des présidents américains fictifs était celle d’un homme blanc, d’âge moyen, issu de la classe moyenne, avec un nom de famille clairement anglophone, une présence imposante et un caractère moral exemplaire, légèrement ou grossièrement idéalisé. Par exemple, le président Bartlet (interprété par Martin Sheen) dans la série télévisée The West Wing (1999-2006), le président Marshall (interprété par Harrison Ford) dans le thriller Air Force One (1997), qui vainc seul les terroristes qui détournent son avion et enfin, le président Whitmore (interprété par Bill Pullman) dans le film de science-fiction Independence Day (1996), qui saute lui-même dans un avion de chasse pour défendre son pays contre les extraterrestres.
24 Heures chrono, une série presentée comme ultra réaliste
La première saison de la série “24 Heures chrono” a été lancée en novembre 2001, seulement deux mois après les attentats du 11 septembre. Cette première saison était à plusieurs égards un thriller traditionnel se déroulant à Los Angeles et mettant en scène un agent antiterroriste du gouvernement, Jack Bauer (interprété par Kiefer Sutherland). La fiction se voulait ultra réaliste puisqu’elle était même présentée comme ayant été filmée en temps réel – un déplacement en voiture d’un des personnages dans un épisode équivalant par exemple à un déplacement dans la ville.
Dans la première saison, le héros se retrouve dans une situation extrêmement dangereuse, puisqu’il défend sa femme et sa fille contre des ennemis inconnus et lutte en parallèle pour sauver la vie du candidat noir à la présidence : le sénateur David Palmer. Ce personnage est présent dans cinq saisons de 2001 à 2006. Son traitement est très similaire à celui que l’on a l’habitude de réserver aux présidents fictifs au sein de la culture cinématographique et télévisuelle américaine. Hormis sa couleur de peau, qui n’est évoquée qu’une seule fois, le président Palmer n’a pas échappé au traitement traditionnel du président blanc idéalisé.
David palmer, Une icône culturelle qui a crevé l’écran
Ainsi Palmer est, certes, noir de peau mais son personnage ne subvertit jamais complètement l’image fictionnelle normative du président américain : homme de pouvoir courageux et droit dans ses bottes. Palmer comme Obama parle avec un accent considéré comme “neutre” et n’est pas un ancien militant du mouvement pour les droits civiques. Ils présentent tous deux des profils pas si éloignés que celui de la figure du président américain conventionnel WASP. Palmer comme Obama seraient « affable[s] et soigné[s], poli[s] à l’excès, doté[s] d’un don pour la rhétorique et d’une voix onctueuse de baryton pour emballer le tout » selon Joshua Alston, historien à l’Université de Leeds. De plus, selon Erika Molloseau, spécialiste en communication à l’Université Denison, ce deux hommes sont chacun « éduqué[s], bien équilibré[s], presque trop beau[x] pour être vrai », qui incarnent une image « alternative » de la « masculinité afro-américaine ».
Le personnage de Palmer a peu à peu dépassé la série pour atterrir dans l’espace public. Ainsi, l’acteur Dennis Haysbert raconte que les fans de la série l’arrêtent dans la rue en l’appelant « Président » et lui demandent de se présenter aux élections. Lors d’un dîner organisé par la Congressional Black Caucus Foundation en 2006, l’acteur a participé à une séance de questions-réponses comme s’il était un représentant politique. Le public l’a interrogé sur la réforme des prisons ou et la réinsertion des personnes toxicomanes. En 2015, 89% des personnes visionnant la série ont même déclaré que le personnage de Palmer était celui d’un président crédible dont elles seraient satisfaites s’il était à la tête du pays.
L’engouement pour un président noir ne se résume cependant pas à celui pour David Palmer : Morgan Freeman dans « Deep Impact » (1998) est souvent décrit comme montrant les qualités qu’un président devrait posséder dans la réalité. Selon le chercheur Maurice Ronai, ces présidents fictifs ont marqué les esprits : pas seulement en raison de leur couleur de peau, mais de leurs qualités : intégrité personnelle, sang-froid, mesure, retenue.
Reste que depuis la fin des années 1990, un ensemble d’icônes afro-américaines, dont David Palmer fait amplement partie, ont normalisé, voire rendu désirable, l’idée qu’un Noir puisse être élu président à la Maison blanche. Le chercheur François Durpaire, historien et auteur de « L’Amérique de Barack Obama » (Demopolis, 2008), considère que l’influence jouée par les images est vraiment décisif : « Dans une société de l’image, les représentations jouent un rôle primordial. Il n’y aurait sans doute pas de président Obama sans ces héros de fiction ».
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