FOCUS
#22

Moi, gros et pas méchant : la fatigue des fat clichés !

Avec Corpscools, activiste qui lutte contre la discrimination et pour une meilleure représentation des personnes grosses à travers son blog (https://corpscools.blogspot.com) et son compte Instagram (@corpscools). Elle est également derrière le compte @labandedesgros, qui recense les passages de films et séries grossophobes et co-fondatrice de Fat friendly, association de lutte contre la grossophobie et outil en ligne qui recense l’accessibilité des espaces aux personnesgrosses. 

En synthèse : Malgré une tendance croissante à filmer la diversité des corps, la représentation des corps gros reste rare. Lorsque les personnes grosses apparaissent à l’écran, il s’agit souvent de personnages stéréotypés et réduits à leur poids. En dénonçant les principaux clichés sur les personnes grosses à l’écran, les activistes veulent faire évoluer les représentations et les mentalités.

Selon l’OCDE, en 2017 les personnes grosses constituaient 46,4% de la population française. Or, leur apparition à l’écran est rare, et généralement stéréotypée : les représentations des personnes grosses sont bien loin de leurs réalités. La grossophobie, système d’oppression, de stigmatisation, et d’exclusion des personnes grosses, est fondée sur l’idéalisation des corps minces en opposition à la grosseur, qui serait pathologique par essence. Elle opère dans toutes les sphères du quotidien, allant de la discrimination à l’embauche à celle des médecins, en passant par le regard des autres dans l’espace public. Elle touche plus fréquemment les femmes, leur physique étant plus sujet aux critiques que celui des hommes. Omniprésente, du culte de la minceur à la fétichisation des corps gros, elle transparaît dans nos écrans.

Des programmes pour la jeunesses aux émissions télévisées : la mise en scène de clichés grossophobes

Les films et séries ne cessent de véhiculer un imaginaire collectif grossophobe, de façon plus ou moins subtile, et ce dès l’enfance. La stigmatisation des personnes grosses est déjà présente dans les films et dessins animés destinés à la jeunesse. Il est inculqué aux enfants que la grosseur va de pair avec la méchanceté : les personnages gros dans les films, s’ils existent, font figure de repoussoir, d’anti-héros qu’il faut combattre.

Photo focus 22 1

Mrs. Trunchbull, la directrice d’école dans « Matilda »

Dans « Matilda » (1996), Mrs. Trunchbull, la directrice au corps disproportionné, séquestre les enfants de l’école. La saga « Harry Potter » a elle aussi créé ses propres « Fat villain » avec Vernon et Dudley Dursey, la famille adoptive d’Harry obsédée par la nourriture, qui le martyrise. Sans oublier Ursula dans « La petite Sirène » (1989), monstre à tentacules violets qui tente de prendre la place d’Ariel afin de séduire le prince. Tous ces personnages gros sont déshumanisés. La grossophobie se fait ressentir de manière plus discriminante et plus directe encore dans les films destinés aux adolescents. Dans ceux-ci, les gros et les grosses ont généralement un rôle de « faire-valoir » : un personnage secondaire, drôle et qui attire la sympathie mais est présenté comme lent, étourdi et réduit à son poids. La plupart des programmes dits « inclusifs » ne prennent pas en compte la grosseur, comme la série Netflix Mes premières fois (2020-présent), où le seul personnage gros, Eric Perkins, est toujours représenté en train de manger.

C’est d’ailleurs dans ces films pour adolescents que se niche l’une des caractéristiques les plus récurrentes de la grossophobie : l’hypersexualisation des femmes grosses. A cause du regard particulier qui est porté sur le physique des femmes, la grossophobie qu’elles subissent entraîne leur sexualisation, jusqu’à les tourner en ridicule. Il est alors souvent fait un parallèle entre leurs présupposés appétit et appétit sexuel. Dans la plupart de ses films, notamment dans la trilogie « Pitch Perfect » (2012-2017), Rebel Wilson incarne ce personnage pathétique. L’effet comique est censé provenir de ses tentatives de séduction qui seraient forcément vaines au vu de son poids.

photo focus 22 2

Rebel Wilson dans le rôle de « Fat Amy », dans « Pitch Perfect 2 »

Là où les hommes gros ont plus de chance de se voir attribuer des rôles perçus comme positifs et drôles en raison de leur personnalité, par exemple le père de famille Jay Pritchett dans le sitcom « Modern Family » (2009-2020), les femmes, elles, restent souvent cantonnées à des rôles risibles et sexualisés. La grossophobie transparaît non seulement au cinéma mais aussi sur le petit écran. Elle est présente sous une de ses formes les plus violentes dans les programmes de flux. Aux Etats-Unis, l’émission The Biggest Loser (2008) est précurseure des émissions axées sur la perte de poids des participants. Au cours des épisodes, les participants devaient perdre du poids en mangeant moins et en faisant du sport.

Les personnes grosses y étaient présentées comme des « bêtes de foire » et déshumanisées. La France n’a pas tardé à adopter ce type d’émissions : jusqu’en 2021, M6 diffusait l’émission Opération renaissance, qui suivait des personnes effectuant une chirurgie bariatrique. Cette opération engendre pourtant des conséquences néfastes sur la santé mentale et physique des personnes, notamment à cause du mauvais suivi postopératoire malgré les indications de la Haute autorité de santé. Dans toutes ces émissions, les personnes grosses sont réduites à leur poids et leur quotidien est mis en scène dans l’objectif de dégoûter le public, de le rassurer dans le culte de la minceur et d’ancrer l’idée que la grosseur est forcément pathologique. Au-delà de la déshumanisation des personnages gros, la manière de les incarner pose également problème, car depuis les années 1990 des acteurs et actrices minces sont déguisés en personnes grosses en portant un costume appelé « Fatsuit », souvent dans le but de produire un effet comique. L’ensemble des productions audiovisuelles a nourri un imaginaire grossophobe en érigeant la santé et le développement personnel en valeurs suprêmes, consubstantielles à la minceur. Les personnages des gros et grosses à l’écran sont donc généralement sédentaires, paresseux, goinfres, leur corpulence traduisant un état de santé dégradé.

De nouveaux récits pour changer les choses

La grossophobie ancrée dans la société et dans nos inconscients est aujourd’hui de plus en plus pointée du doigt. Des activistes s’emparent de la thématique pour informer sur cette discrimination encore peu reconnue à travers leur vécu, pour dénoncer les représentations problématiques et en proposer de nouvelles, plus fidèles à la réalité. Marie de Brauer est une journaliste, autrice de bande-dessinée, réalisatrice de documentaires et de podcast engagée.

photo focus 22 3

« La grosse vie de Marie », de Marie de Brauer

En 2020, elle passe derrière la caméra et réalise le documentaire « La grosse vie de Marie » dans lequel elle aborde l’impact de la grossophobie sur tous les aspects du quotidien : harcèlement, amitié, sexualité, monde professionnel, corps médical, acceptation de soi.

Du côté des fictions, il existe des films et séries dont les personnages gros ne sont pas de simples stéréotypes. Par exemple dans « Dumplin’ » (2018), l’héroïne participe à un concours de beauté, apprécie son corps et vit une histoire d’amour sans que l’axe narratif ne soit centré sur sa corpulence, mais sans omettre non plus les difficultés qu’elle peut avoir à s’accepter. D’autres productions abordent le thème de la grosseur en tant qu’un aspect du film parmi d’autres. Si les difficultés et violences liées à un corps gros sont représentées, les héros vivent des histoires banales en parallèle, permettant ainsi un ensemble fidèle à la réalité. Ces représentations nuancées sont d’autant plus importantes qu’elles sont destinées à un public adolescent, comme le film « Jeune Juliette » (2019) dans lequel la jeune héroïne est filmée avec bienveillance, ou encore la série « My mad fat diaries » (2012-2014). Ici, l’intrigue ne se focalise pas uniquement sur le poids des jeunes adolescentes mais avant tout sur leurs expériences d’histoires d’amour, d’amitié, de santé mentale que pourraient traverser tout adolescent.

photo focus 22 4

Affiche de « Jeune Juliette », d’Anne Émond

Représenter les personnes grosses au même titre que tous les personnages, sans oublier la réalité de leurs discriminations ni les y réduire est essentiel : les images permettent de créer de nouveaux modèles auxquels s’identifier, d’écarter la grossophobie des imaginaires collectifs et ainsi d’améliorer la santé mentale à ce sujet.

L’Observatoire des images, créé en 2021, est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent au rôle des images au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéos et dans les publicités, notamment sur Internet. Convaincu.e.s que les images peuvent figer les représentations et enfermer dans des stéréotypes, ou au contraire permettre l’émancipation et ouvrir le champ des possibles, les partenaires de l’observatoire se sont réunis pour réfléchir et agir ensemble, que ses membres travaillent dans la production, la distribution, le financement, la communication, la recherche, les institutions…

Les objectifs de la coalition sont notamment de : sensibiliser les pouvoirs publics, les professionnels et le public ; développer la recherche sur la réception des images et mettre en lumière les travaux existants ; agréger et soutenir les pratiques professionnelles ; valoriser les projets et les équipes soucieux de lutter contre les clichés.

Rejoignez-nous : observatoiredesimages.org