FOCUS
#05

Les pubs et nos imaginaires : toutes et tous des enfants Kinder ?

En synthèse : Alors que nous sommes quotidiennement immergé·e·s dans la publicité, nos imaginaires sont jour après jour façonnés par les images auxquelles nous sommes confronté·e·s. Au-delà de la promotion des produits et services dont elle encourage la consommation, la publicité porte à l’écran des stéréotypes qui forgent nos inconscients collectifs. Interpellées par les consommateur·trice·s, certaines marques ont décidé de plutôt participer à faire évoluer la perception et les usages des thèmes qu’elles abordent.

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Nous sommes chaque jour confronté·e·s jusqu’à 362 publicités, à travers les médias traditionnels (télévision, radio, presse) et leur pendant numérique, mais aussi sans même que nous nous en rendions compte : panneaux publicitaires sur la route, sur les bus, dans le métro… Et à l’image de toutes celles et ceux qui ne ressemblent pas au petit garçon Kinder mais souhaitent tout de même manger du chocolat, jusqu’à 54% des consommateur·ice·s ne se sentent pas suffisamment représenté·e·s culturellement dans les publicités et 71 % attendent une meilleure promotion de la diversité et de l’inclusion.

ENTRE STEREOTYPES ET INVISIBILISATION

Comme toutes les images, les publicités peuvent entretenir des stéréotypes plutôt que les réduire, et accentuer l’invisibilisation de
certaines populations. Par exemple, sur l’ensemble des publicités du festival international de la créativité de 2018, les personnages masculins étaient deux fois plus susceptibles que les personnages féminins d’être montrés comme ayant une profession (25,6 % contre 13,8 %). Pour la période 2019- 2020, 81% des publicités signalées à l’Observatoire de la publicité sexiste ciblaient le genre féminin.

Ces chiffres suivent la tendance dénoncée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel en 2017, qui observe que la majorité des experts
présents dans les publicités sont des hommes, tandis que les ⅔ des publicités sexualisantes concernent des femmes, et que ces dernières sont majoritairement représentées dans les publicités dédiées à l’entretien du corps (63%) et à l’habillement/parfumerie (57%). Non seulement, les femmes apparaissent en général beaucoup plus dénudées que les hommes, mais en plus, leur corps fait souvent l’objet de zoom sur les parties sexualisées, et est quasiment toujours retouché.

Positions suggestives – bouche entrouverte, vêtements décolletés, jambes écartées), accroche textuelle ou slogan sexualisé, le corps
des femmes est utilisé pour promouvoir des objets de consommation parfois en total décalage (voitures, téléphones, pain ou fournitures de bureau) ! Aujourd’hui encore, lorsqu’une marque souhaite vendre un sac à main, elle n’hésite pas à demander à une actrice renommée d’emprunter des poses suggestives dans un lit froissé, tout naturellement nue mais non sans son objet de maroquinerie préféré, dont elle ne saurait se séparer.

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Quand elles n’entretiennent pas des stéréotypes, certaines publicités peuvent contribuer à invisibiliser des populations. Ainsi, alors que les personnes en situation de handicap représentent environ 17% de la population française, seulement 1,1% des publicités affichées par Facebook les montrent à l’écran. Elles doivent souvent faire l’objet de campagne spécifique pour pouvoir prétendre être intégrées au flux d’images quotidien dans lequel nous sommes immergé·es, comme celle de l’association Burns and Smiles.

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INTERPELLATION PAR LES CONSOMMATEUR·TRICES·S

Depuis quelques années cependant, les consommateur·trice·s réagissent. Ainsi, une marque de savon a dû retirer une publicité ouvertement raciste en 2017. Cette dernière montrait plusieurs femmes (aux peaux noire puis blanche au teint mat) se succéder à
l’écran. La femme noire devenait blanche suite à l’utilisation du produit.

Après avoir été prise à partie sur les réseaux sociaux, la marque a supprimé la vidéo avant de présenter des excuses publiques. Selon elle, il s’agissait au contraire d’une ode à la diversité afin de prouver que ses produits étaient destinés à l’ensemble de la population. Bad buzz pour cette enseigne qui a déclaré “avoir manqué son objectif de représenter les femmes de couleur [et regretter] profondément l’offense que cela a causée”.

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Les marques savent désormais qu’il leur faut être attentives à l’influence des images qu’elles produisent. Cas d’école avec un produit de consommation utile à plus de la moitié de l’humanité : les protections hygiéniques, longtemps présentées selon des stéréotypes de genre féminins bien ancrés, entre “Dame nature” et camaïeu de rose.

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Une marque a finalement fait le choix de casser les codes iconographiques traditionnels pour présenter son produit dans un usage courant : une serviette hygiénique tâchée de sang.

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Coup d’éclat ! Ou plutôt coup de pub. Le conventionnel et mystérieux liquide bleu fait dorénavant place à une tâche rouge pour illustrer les pertes menstruelles.

FAIRE ÉVOLUER LA PERCEPTION ET LES USAGES

Ainsi, les images de publicité peuvent être un moteur de l’évolution des perceptions, et donner de la visibilité à des sujets et des personnes marginalisés. Une marque d’équipement sportif a par exemple, en 2018, volontairement affiché des sportif·ve·s noir.e.s en action, regards face caméra afin d’interpeller les téléspectateur.ice.s.

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Plusieurs initiatives ont été lancées pour accompagner cette modifications des usages dans les représentations à l’écran. Par
exemple, l’Union des marques (UDM) a élaboré une grille de critères pour éviter les stéréotypes dans les publicités. Par un système de questions croisées qui met en relief les traits dominants des personnes représentées, les marques sont invitées à éviter les écueils stéréotypés en assurant une plus grande diversité et une meilleure inclusion au sein de leurs campagnes. Il s’agit de s’interroger en amont sur l’activité et la posture des femmes, la place accordée au handicap ou encore le
rapport à leur origine des personnes racisées. Un concours annuel, nommé REPRESENTe, récompense les productions les plus inclusives.

Autre exemple, l’association française des entreprises pour l’environnement (EpE) a aussi mis en place une matrice d’analyse des stéréotypes de consommation et des modes de vie dans les publicités.

Première étape vers une prise de conscience de l’influence des images de publicité sur nos imaginaires, ces initiatives doivent accompagner une démarche globale au-delà de la seule communication, afin que la recherche d’une lutte contre les clichés dans la publicité ne soit pas un simple argument de verdissement d’image (« green-washing » ou « social-washing »). Elle est d’ailleurs un argument commercial : les campagnes en ligne offrant une représentation plus diversifiée sont mieux mémorisées que les campagnes s’inscrivant dans des schémas de représentation traditionnels.

L’image de l’enfance stéréotypée de la publicité Kinder semble désormais surannée. Les consommateur·ice·s veulent se reconnaître dans les publicités auxquelles elles et ils sont exposé·e·s. Les nouvelles démarches engagées contre les stéréotypes au sein de la publicité peuvent ne pas être du goût de tout le monde, mais elles tentent de construire un imaginaire publicitaire plus inclusif.

L’Observatoire des images est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent à l’influence des images au cinéma, à la télévision et dans les publicités, notamment sur Internet.

— Rejoignez-nous : observatoiredesimages.org