FOCUS
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Est-ce la taille qui compte ? — « 1 mètre 20 » entre sexe et handicap

Avec Marie Blondiaux, productrice chez Red Corner, société de production interactive, membre de l’Observatoire des images, spécialisée dans la réalité virtuelle pour les films, les sites web et les jeux vidéos. — En savoir plus : http://red-corner.fr/

En synthèse : Alors que la France compte plus de 12 millions de personnes en situation de handicap, ces dernières sont peu ou mal représentées dans le cinéma et l’audiovisuel. En racontant l’éveil à la sexualité des jeunes selon la perspective de Juana, une jeune adolescente en fauteuil, la série « Un mètre vingt » rompt avec les codes traditionnels de représentation du handicap au cinéma et à la télévision. Les questions relatives à la sexualité permettent ainsi de dépeindre le handicap à l’écran de façon plus inclusive.

Les personnes en situation de handicap sont quasi-absentes des fictions

En France, le handicap sous toutes ses formes concerne plus de 12 millions de personnes. Loin de former un groupe marginal sur le plan démographique, les personnes en situation de handicap souffrent pourtant d’une invisibilité sur les écrans. Selon les chiffres de l’Arcom, en 2020, ce sont seulement 0.6% des personnes qui y apparaissent qui sont perçues comme étant en situation de handicap, contre 0,8% en 2016. Au-delà de la faible fréquence, c’est la nature même de la représentation du handicap qui est problématique : les personnages sont souvent associés à leur situation, comme seul élément narratif, suscitant la pitié ou présentés sous un jour héroïque parce qu’ils la surmontent.

De surcroît, les personnages handicapés dans la fiction sont le plus souvent joués par des acteur·ices valides. Ce phénomène promeut la validité comme norme social et empêche aux personnes en situation de handicap d’accéder à des rôles. La normalisation du handicap à l’écran ne peut donc se limiter à une simple représentation du phénomène social et doit également passer par le casting des personnes handicapées pour des rôles dont les histoires n’ont peu de lien avec leur handicap, voire aucun. A l’aune de ce constat, comment s’emparer de la question du handicap dans les films et les séries afin de le dépeindre autrement ?

RedCorner, partenaire de l’observatoire, a décidé de produire la série « Un mètre vingt » diffusée sur Arte fin 2021. Cette dernière met en scène Juana, jeune lycéenne à Cordoba (Argentine) qui se déplace sur un fauteuil roulant, alors qu’elle lutte, aux côtés de ses camarades, pour accéder à des cours d’éducation sexuelle dans son lycée.

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Juana (Marisol Agostina Irigoyen)

Entre questionnements personnels et militantisme politique, le personnage de Juana incarne une autre façon de voir le handicap au cinéma et à la télévision.

Vers la normalisation du handicap et de la diversité des corps à l’écran

La série s’inspire de l’expérience de Rosario Perazlo Masjoan, devenue coréalisatrice et coautrice, qui dénonce de longue date le regard porté sur son handicap comme trop encombrant – même lorsqu’il est plein de sollicitude, et refuse d’être assimilée à son fauteuil roulant. Elle regrette, comme la comédienne principale, Marisol Agostina Irigoyen, d’avoir grandi sans pouvoir se référer à des modèles de personnages dans les films et les séries qu’elle visionnait. « Inversement, le public des personnes valides n’est pas habitué à voir des physiques différents » fait valoir Marie Blondiaux, la productrice.

Ici, le handicap devient un prétexte pour aborder la thématique de la sexualité chez les jeunes, plutôt qu’un sujet de stigmatisation. Le prisme de la différence rend encore plus saillantes les normes absurdes dans lesquelles nous baignons. Dès le pilote du projet, une voisine indiscrète dans le bus lui demande où elle se rend : Juana répond « Faire l’amour », ce qui laisse son interlocutrice interloquée.

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Juana et un de ses partenaires


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Juana et ses camarades

Le croisement qu’apporte la série entre la sexualité et le handicap permet de défaire les schémas narratifs classiques autour du handicap, souvent trop héroïsants ou trop misérabilistes. En Argentine – la situation n’étant pas très différente en France – il n’y a pas de comédiennes professionnelles en fauteuil roulant. La série, dont pour une fois le personnage en situation de handicap n’est pas joué par une actrice valide, interroge sur le désir, la normalité ou encore la liberté.

Juana est traversée par des questionnements sur le plaisir ou le consentement, au même titre que ses camarades. Par exemple, lors d’un rendez-vous, avant un premier rapport sexuel, Juana doit expliquer à son partenaire comment la détacher du fauteuil. La scène montre un moment rarement vu à l’écran, instant de complicité et d’écoute.

La série est organisée autour de 6 épisodes de 15 minutes chacun et d’un dispositif en réalité virtuelle de 35 minutes. Avec un casque VR, il est ainsi possible de vivre en immersion au cœur de la vie intérieure de Juana. Au-delà de la diffusion, des projections sont prévues dans les antennes locales de l’association APF-France Handicap, pour stimuler les échanges.

L’Observatoire des images, créé en 2021, est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent au rôle des images au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéos et dans les publicités, notamment sur Internet. Convaincu.e.s que les images peuvent figer les représentations et enfermer dans des stéréotypes, ou au contraire permettre l’émancipation et ouvrir le champ des possibles, les partenaires de l’observatoire se sont réunis pour réfléchir et agir ensemble, que ses membres travaillent dans la production, la distribution, le financement, la communication, la recherche, les institutions…

Les objectifs de la coalition sont notamment de : sensibiliser les pouvoirs publics, les professionnels et le public ; développer la recherche sur la réception des images et mettre en lumière les travaux existants ; agréger et soutenir les pratiques professionnelles ; valoriser les projets et les équipes soucieux de lutter contre les clichés.