FOCUS
#16
L‘invisibilité, le super-pouvoir des femmes de plus de 50 ans à l’écran
Avec AAFA – Tunnel de la comédienne de plus de 50 ans, une commission de l’AAFA – Actrices & Acteurs de France Associés. Cette commission combat les stéréotypes sexistes liés à l’âge des femmes, reproduits dans les fictions. Son objectif : questionner ce phénomène d’invisibilité, nommer le problème, briser l’omerta, faire bouger le curseur des représentations des femmes de plus de 50 ans.
En synthèse : Alors que 52% des femmes majeures ont plus de 50 ans, seuls 9% des rôles étaient attribués à des comédiennes de plus de 50 ans dans les films français sortis en 2020. Les femmes de plus de 50 ans, pourtant une majorité démographique, sont invisibilisées au cinéma et à la télévision. En outre, lorsqu’elles apparaissent à l’écran, elles sont la cible d’un grand nombre de stéréotypes. Au sein du secteur du cinéma et de l’audiovisuel, sous l’impulsion d’AAFA – Tunnel de la comédienne de 50 ans, des professionnel·le·s commencent à se mobiliser. Les fictions ont en effet un rôle à jouer dans la lutte contre le sexisme et l’âgisme.
En France, 52 % des femmes majeures ont plus de 50 ans soit 28% de la population majeure totale. Pourtant en 2020, seuls 9% des rôles étaient attribués à des comédiennes de plus de 50 ans sur l’ensemble des films français. Les femmes, passé un certain âge, sont donc invisibilisées à l’écran.
À L’ÉCRAN, LES FEMMES DE VIEILLISSENT PAS… ELLES DISPARAISSENT !
La journaliste Betty Friedan décrit le système comme dual : d’un côté ce qui s’apparente à une « obsession” autour de la vieillesse, souvent montrée comme un problème, et de l’autre une “curieuse absence” d’images médiatiques représentant des femmes vieillissantes.
Comme souvent, femmes et hommes ne subissent toutefois pas le même traitement. L’essayiste américaine Susan Sontag montre ainsi que les femmes sont considérées comme “vieilles” précocement par rapport aux hommes, dans un système plus indulgent à l’égard du vieillissement masculin. En outre, lorsqu’elles apparaissent à l’écran, elles sont souvent associées à des représentations négatives. En effet, le cinéma, la télévision et la publicité ne manquent pas de reproduire l’image de mères saintes et asexuées.
Dans la série “Never Have I ever” (2020-présent), pendant que la lycéenne Devi, sa cousine et sa mère vivent toutes des histoires d’amour, la grand-mère et veuve Nirvala se consacre au foyer et ne fait aucune rencontre amoureuse. Ils peuvent également véhiculer une conception horrifiante ou diabolisée des femmes âgées : le film « Abuela » (2021) dresse le portrait d’une femme âgée, touchée par une hémorragie cérébrale, dont le corps en déclin est montré en contraste avec ses photos lorsqu’elle était jeune et belle. Enfin, dans “Hereditary” (2018), la grand-mère pratique la sorcellerie et est à l’origine de violents traumatismes chez ses enfants.
Le poids des images et les normes de la féminité qui pèsent sur les femmes âgées
Ces représentations sont intrinsèquement liées aux valeurs véhiculées par ce que la journaliste et essayiste suisse Mona Chollet appelle le “complexe mode-beauté”. Alors qu’elle épargne largement les hommes, l’industrie contraint les femmes à ressembler à des modèles de beauté sans trace d’âge. Les représentations dans les médias, les films et les publicités contribuent à construire nos conceptions du corps des femmes, excluant ainsi toutes celles dont le corps ne correspond plus aux critères dominants et culturels de la beauté féminine. Selon Geneviève Sellier, historienne et spécialiste du genre dans le cinéma, les films contribuent activement à la stigmatisation des actrices vieillissantes, trop peu souvent mises en valeur. Au global, les images sur les écrans contribuent largement à reproduire les discriminations sexistes et âgistes qui se font jeu dans la société.
LE TUNNEL DE LA COMÉDIENNE DE 50 ANS : UN MOUVEMENT CONTRE L’INVISIBILISATION DES FEMMES ÂGÉES À L’ÉCRAN
Au sein d’AAFA – Actrices & Acteurs de France Associés, la commission AAFA – Tunnel de la Comédienne de 50 ans est créée en décembre 2015. Cette dernière questionne l’absence de représentation des femmes de plus de 50 ans, nomme le problème et brise le tabou. Ses membres combattent l’invisibilisation ainsi que les stéréotypes sexistes liés à l’âge des femmes, reproduits notamment dans les fictions. S’interroger sur les représentations des femmes de plus de 50 ans dans les fictions, c’est aussi questionner les rapports de domination entre hommes et femmes. Après la ménopause, la femme qui ne peut plus procréer n’intéresse quasiment plus les histoires. Ce n’est pas leur puissance et leur maturité psychique, émotionnelle et professionnelle qui intéresse celles et ceux qui créent les images. Pour lutter contre ces inégalités de représentation, la commission, codirigée par Marina Tomé et Catherine Piffaretti, a mis en place des actions afin d’interpeller et de sensibiliser sur cette thématique. Elle édite régulièrement le comptage des rôles dans les films français, véritable baromètre de l’âgisme et du sexisme sur les écrans de cinéma ; elle collabore avec les chercheur•euse•s en sociologie pour réfléchir à la discrimination âgiste et sexiste à l’œuvre, ses causes et l’enjeu de société qu’elle représente ; elle propose des actions concrètes dans le respect de la liberté de création via le manifeste AAFA – Tunnel des 50, qui rassemble à ce jour plus de 15.000 signataires et enfin, elle obtient la pérennisation des études de la part des institutionnels, tels que le CNC et l’Adami.
Renverser la donne avec les images
Dans le cadre de sa recherche en sociologie à l’Université du Québec à Montréal, Julie Silveira montre qu’il existe toutefois quelques films qui dressent le portrait de figures féminines atypiques, que l’on croise rarement dans le cinéma. Dans “Tous les autres s’appellent Ali “de Rainer Werner Fassbinder (1974), une ouvrière allemande âgée épouse un homme marocain plus jeune. Le film “Opening Night » de John Cassavetes (1977), quant à lui, met en récit la façon dont une actrice vieillissante va surmonter la peur du déclin que lui impose la société, en incarnant avec succès le rôle d’une femme qui a perdu sa jeunesse.
Dans “Trente tableaux” (2011) Paule Baillargeon revient sur les scènes structurantes de sa vie, en tant que cinéaste, mère, féministe et artiste.
Plus récemment, dans « Les Jeunes Amants », Fanny Ardant incarne une femme de 72 ans qui vit une histoire d’amour avec Melvil Poupaud, un homme beaucoup plus jeune. Ce cas est plutôt rare dans le cinéma, puisque les couples hétérosexuels qui apparaissent à l’écran, et pour lesquels les écarts d’âge sont conséquents, sont en majorité composés d’hommes ayant atteint un certain âge et de femmes dont l’âge stagne. Par ailleurs, le film “Rose” d’Aurélie Saada (2021) avec Françoise Fabian met en lumière les injonctions liées au corps et à la vie des femmes âgées. Autre exemple, la série “Grace and Frankie” (2015 – présent) avec Jane Fonda et Lily Tomlin montre de manière très explicite les réalités liées à l’invisibilisation de deux héroïnes septuagénaires… de quoi renverser les stéréotypes liés au genre et à l’âge !
L’Observatoire des images, créé en 2021, est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent au rôle des images au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéos et dans les publicités, notamment sur Internet. Convaincu.e.s que les images peuvent figer les représentations et enfermer dans des stéréotypes, ou au contraire permettre l’émancipation et ouvrir le champ des possibles, les partenaires de l’observatoire se sont réunis pour réfléchir et agir ensemble, que ses membres travaillent dans la production, la distribution, le financement, la communication, la recherche, les institutions…
Les objectifs de la coalition sont notamment de : sensibiliser les pouvoirs publics, les professionnels et le public ; développer la recherche sur la réception des images et mettre en lumière les travaux existants ; agréger et soutenir les pratiques professionnelles ; valoriser les projets et les équipes soucieux de lutter contre les clichés.