FOCUS
#17
Des écrans à l’engagement : les fans en mouvement !
Avec Mélanie Bourdaa, docteure en sciences de l’information et de la communication, spécialisée dans l’analyse des médias audiovisuels et les pratiques culturelles de leur public, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’Université Bordeaux 3, chercheuse au laboratoire MICA. Son dernier ouvrage, publié en 2021, intitulé « Les Fans. Publics actifs et engagés » (C&F Editions) traite de l’activisme des fans de séries télévisuelles américaines.
En synthèse : La visibilisation dans les séries télévisées du phénomène du coming out, en particulier féminin, soutient la libération de la parole autour de l’orientation sexuelle. L’implication des fans est notamment visible sur les réseaux sociaux, où le public fait part de son identification aux personnages grâce à l’authenticité des scènes à l’écran.
De plus en plus de séries, telles « Grey’s Anatomy » (ABC, 2005-présent), « Supergirl » (The CW, 2015-présent) et « Pretty Little Liars » (Freeform, 2010-2017) accordent de la visibilité non seulement au coming out en général mais plus spécifiquement à celui opéré par des figures féminines, qui souffrent d’une double invisibilisation liée à leur genre et à leur orientation sexuelle.
Les communautés de fans de ces séries sont particulièrement actives, notamment sur le web et les réseaux sociaux. Les commentaires présents sous les vidéos Youtube reprenant les scènes des séries depuis la diffusion des épisodes de Grey’s Anatomy et Pretty Little Liars respectivement en 2008 et 2010, montrent à quel point les représentations sont fondamentales pour leurs publics car elles présentent un miroir de leur propre expérience et leur donnent souvent le courage d’affirmer leur identité sexuelle.
Le « coming out » lesbien à l’écran
Le traitement du coming out lesbien est souvent l’occasion de narration dramatique. Ainsi, dans Grey’s Anatomy, Callie révèle son homosexualité à son père. Ce dernier, de confession catholique, a des difficultés à accepter l’orientation sexuelle de sa fille unique. Lorsqu’elle lui présente sa petite amie, Arizona, celui-ci décide de ne plus lui verser d’argent pour assurer son internat hospitalier, alors même qu’il l’a toujours soutenue. Toutefois, la révélation de l’identité homo- ou bisexuelle est parfois montrée sous un jour plus heureux.
Ainsi dans la série Supergirl, la révélation de la sexualité d’Alex se fait d’abord auprès de sa sœur adoptive : Kara, l’héroïne principale. Ce moment provoque des conversations émouvantes entre les deux sœurs, leur permettant de se rapprocher. Son homosexualité est également bien reçue par leur mère, qui ne rejette pas sa fille.
Ces séries deviennent parfois cultes auprès de la communauté qui, au fil des saisons, s’identifie aux personnages. Par exemple, dans Pretty Little Liars, Emily est une adolescente qui vit encore chez ses parents et découvre progressivement son orientation homosexuelle. « L’histoire d’Emily, à la fois en termes de découverte de ses désirs et la rhétorique qu’elle utilise pour les expliquer, sont devenus des standards dans le lexique des histoires d’adolescentes faisant leur coming out ».
L’authenticité comme levier d’identification
Les personnages à l’écran, qui suivent des trajectoires en miroir de celles du public, agissent comme des agents d’autonomisation, dont l’exemple soutient le dévoilement de leur identité sexuelle. Très souvent, l’espace de commentaires de Youtube joue comme un « espace cathartique ». Il s’agit d’un espace numérique, considéré comme protégé et rempli d’affects. Les récits de coming out fonctionnent alors comme des formules qui racontent « les récits modernes d’une identité LGBT cohésive et collective ». Les fans indiquent dans les commentaires qu’ils apprécient le réalisme et l’authenticité de ces scènes. Elles leur semblent refléter leur vécu ou ce qu’ils et elles imaginent que les gens vivent lorsqu’ils font leur coming out, offrant ainsi un miroir de la société contemporaine. Par exemple sous une vidéo YouTube du coming out de Callie à son père, une utilisatrice commente :
Quelques lignes plus bas, une autre écrit :
On trouve des commentaires similaires sous une vidéo qui reprend le passage du coming out d’Alex à sa soeur dans Supergirl :
Une réalité plus complexe qu’à l’écran ?
La représentation du coming-out à l’écran est importante, en ce qu’elle permet aux personnes LGBTQI+ de s’identifier à ces vécus, et au grand public de mieux les saisir. Toutefois, ces scènes à l’écran sont parfois simplifiées et stéréotypées, loin de la diversité de ce processus, entre intersectionnalité, silences et contradictions.
Souvent construit sur des canons très linéaires, le coming out est généralement représenté comme une “conclusion naturelle” dans le parcours personnel des personnages ou comme un “dû” qu’ils peuvent avoir envers leurs proches. De plus en plus d’activistes voient en ces révélations une forme d’injonction ou alors questionnent le caractère occidentalo-centré de ce procédé, alors que le niveau d’acceptation par les familles du coming out varie selon les cultures et les contextes géographiques. Les images doivent aussi refléter cette complexité avec une authenticité toujours renouvelée. Les commentaires des fans sur les réseaux sociaux n’hésitent pas à le rappeler.
L’Observatoire des images, créé en 2021, est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent au rôle des images au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéos et dans les publicités, notamment sur Internet. Convaincu.e.s que les images peuvent figer les représentations et enfermer dans des stéréotypes, ou au contraire permettre l’émancipation et ouvrir le champ des possibles, les partenaires de l’observatoire se sont réunis pour réfléchir et agir ensemble, que ses membres travaillent dans la production, la distribution, le financement, la communication, la recherche, les institutions…
Les objectifs de la coalition sont notamment de : sensibiliser les pouvoirs publics, les professionnels et le public ; développer la recherche sur la réception des images et mettre en lumière les travaux existants ; agréger et soutenir les pratiques professionnelles ; valoriser les projets et les équipes soucieux de lutter contre les clichés.