FOCUS
#20
Analyser l’influence des images : la boîte à outils du Media Impact Project
Avec Erica Rosenthal, docteure en psychologie sociale, directrice de recherche du Media Impact Project mené au sein de l’université de Californie du Sud (USC) depuis 2019, qui travaille sur des sujets divers : équité en santé, immigration, violences sexistes et sexuelles…
En synthèse : La mesure de la réception des contenus audiovisuels par leur audience est de plus en plus plébiscitée notamment pour étudier les habitudes de consommation, et analyser les changements de comportement ou passages à l’action… Les progrès dans ce domaine, permis par le développement des algorithmes et de l’apprentissage automatique, se heurtent toutefois aux limites actuelles de ces technologies.
Le Media Impact Project (MIP) de l’université de Californie du Sud est l’un des programmes de mesure d’impact des contenus audiovisuels les plus avancés au monde. Le programme, développé au sein du Norman Lear Center fondé en 2000, est devenu un département de recherche autonome en 2013. Ses recherches suivent deux axes principaux : l’analyse de l’audience (en amont et en aval de la consommation) et l’analyse des contenus eux mêmes.
L’ANALYSE DE L’AUDIENCE :
HABITUDES EN AMONT ET REACTIONS EN AVAL
Les études d’audience menées par le MIP répondent souvent à des besoins exprimés par des associations ou fondations issues de la société civile.
En amont, ces partenaires cherchent à connaître les habitudes de consommation de contenu des personnes acquises à leur cause, afin de pouvoir les pousser à l’action. Il s’agit d’étudier quel type de contenu plébiscitent ces cibles, ainsi que leurs motivations pour les visionner (plaisir, apprentissage…). Les résultats permettent d’adapter le genre et la forme du contenu afin de toucher l’audience la plus large possible et de s’adresser à elle au plus proche de ses préoccupations.
En aval, il s’agit de déterminer si l’audience a changé son comportement dans une période comprise entre deux semaines et six mois après le visionnage. Des enquêtes en ligne sont menées pour savoir si la consommation des images a poussé les cibles à effectuer des recherches sur Internet en lien avec la thématique, si des discussions liées ont eu lieu avec des proches, ou encore si des éléments associés ont été partagés sur les réseaux sociaux, voire même s’il y a déjà eu des changements d’habitudes quotidiennes.
Le MIP a ainsi publié des études sur la représentation à l’écran du port d’armes, du changement climatique, des personnes immigrées, des travailleurs domestiques, de la maladie d’Alzheimer…
Pour mettre en place ces études, basées sur des échantillons de la population ayant ou non visionné un certain type de contenu, l’équipe de recherche du MIP a utilisé une méthodologie statistique spécifique.
UNE PANOPLIE DE MÉTHODES STATISTIQUES
Plusieurs méthodes permettent d’étudier la réception du contenu par son audience. Lorsqu’il s’agit d’une série ou d’un film qui n’a pas encore été diffusé, le sondage est adressé à une grande diversité d’individus susceptibles de voir le contenu en question : par exemple les personnes ayant visionné la première saison d’une série sont ciblées lorsqu’il s’agit d’étudier la seconde. Le même groupe va alors être sollicité à deux reprises : avant la sortie de la deuxième saison, puis après son visionnage.
Lorsqu’il s’agit d’analyser un contenu qui a déjà été diffusé, le sondage est réalisé directement auprès des personnes qui ont vu le film ou la série. Leurs réponses sont comparées à celles d’un groupe témoin soigneusement sélectionné. L’équipe de recherche de MIP a mis au point une méthode statistique qui identifie les variables associées au visionnage ou non d’un certain type de contenu. Cela permet d’obtenir un groupe témoin qui présente les mêmes caractéristiques socio-démographiques que le groupe test, et donc une probabilité égale d’avoir été exposé au contenu en question, la différence étant que celui-ci ne l’a pas visionné.
Que le sondage soit mené sur un groupe unique ou avec un groupe témoin, 250 à 300 témoignages sont nécessaires à l’obtention de résultats fiables.
La méthode consistant à recueillir les impressions de personnes à qui l’on fait visionner un contenu, mais qui ne l’auraient pas nécessairement regardé dans d’autres conditions, est évitée autant que possible car elle est considérée comme trop artificielle. Elle est tout de même utilisée dans certains cas, notamment lorsqu’il s’agit d’étudier des contenus diffusés il y a plus d’un an : celles et ceux souhaitant voir ce contenu l’ont déjà vu, et une étude avec un groupe témoin n’est pas possible car trop de temps s’est écoulé pour que les informations comportementales recueillies soient fiables.
L’ANALYSE DES CONTENUS : DES PROGRAMMES DE CALCUL DE PLUS EN PLUS POUSSÉS…
En parallèle du travail d’analyse de l’audience, le MIP étudie les contenus produits et la façon dont ils traitent des thématiques qu’ils développent. Le MIP a notamment mené une étude qui a mis en lumière la très faible proportion de mentions directes et indirectes du changement climatique dans les épisodes de séries et de films tournés aux Etats-Unis entre 2020 et 2022 : seuls 2,8% des 37 000 scénarios analysés évoquaient le changement climatique ou des phénomènes naturels pouvant être reliés au changement climatique.
Pour mener des études de grande ampleur comme celle-ci, l’équipe de recherche développe une liste de mots-clés, dont la pertinence est préalablement testée sur un échantillon de scénarios avant que l’étude soit lancée à grande échelle. Toutefois, ce type de recherche ne permet pas d’analyser les sentiments, ni la façon dont apparaît la thématique : par exemple, l’équipe de recherche ignore si les occurrences de la thématique climatique font partie d’un axe narratif significatif, ou s’il s’agit d’une mention anecdotique ; les ordinateurs ne savent pas discerner un passage qui exprime un désarroi causé par le changement climatique d’un passage critique ou le niant ; enfin ils ne permettent pas de récolter des informations sur les personnages qui le mentionnent, notamment sur leur crédibilité, alors qu’il s’agit souvent de scientifiques fous, de personnages présentés comme ennuyeux ou écoterroristes…
L’analyse de ces résultats aide considérablement les chercheurs à identifier les personnages ou les épisodes qui méritent une étude plus approfondie, menée par des hommes.
… MAIS QUI NECESSITENT ENCORE UN IMPORTANT RETRAITEMENT HUMAIN
L’intervention humaine est requise à plusieurs stades comme la détermination des mots-clés et leur test en amont d’une étude, mais aussi la recherche et le téléchargement des données brutes, comme les fichiers de sous-titres. Enfin, la plupart des analyses de données sur le contenu sont complétées par des données récoltées par des hommes (« human coding »). Ce procédé a notamment été utilisé dans le cadre de l’étude menée par le MIP sur la représentation des personnes immigrées dans les contenus audiovisuels.
Dans ce cadre, des individus ont visionné un très grand nombre de films et d’épisodes de séries, et pris des notes sur les informations socio-professionnelles disponibles sur les personnages : leur pays d’origine, leur genre, leur niveau d’études, mais aussi leur éventuelle association à un crime. Cela a permis de mettre en évidence le fait qu’entre 2020 et 2022, à la télévision américaine, 40% des personnes immigrées étaient associées à la criminalité.
« Si la technologie permet de traiter un grand nombre de données et d’améliorer fortement les échantillons, l’intervention des équipes de recherche reste toujours nécessaire. »
L’analyse des contenus audiovisuels associe encore aujourd’hui données humaines et récoltées par des ordinateurs. Si la technologie permet de traiter un grand nombre de données et d’améliorer fortement les échantillons, l’intervention des équipes de recherche reste toujours nécessaire.
L’Observatoire des images, créé en 2021, est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent au rôle des images au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéos et dans les publicités, notamment sur Internet. Convaincu.e.s que les images peuvent figer les représentations et enfermer dans des stéréotypes, ou au contraire permettre l’émancipation et ouvrir le champ des possibles, les partenaires de l’observatoire se sont réunis pour réfléchir et agir ensemble, que ses membres travaillent dans la production, la distribution, le financement, la communication, la recherche, les institutions…
Les objectifs de la coalition sont notamment de : sensibiliser les pouvoirs publics, les professionnels et le public ; développer la recherche sur la réception des images et mettre en lumière les travaux existants ; agréger et soutenir les pratiques professionnelles ; valoriser les projets et les équipes soucieux de lutter contre les clichés.