FOCUS
#26
Sexualités adolescentes, libérées délivrées dans les séries télé ?
Avec Hélène Breda, maîtresse de conférences en information et communication à l’Université Sorbonne Paris Nord. Ses recherches portent sur la représentation des identités culturelles à l’écran, dans la fiction et les médias, sur la critique audiovisuelle à l’ère du numérique, sur les pratiques des fans et sur les mobilisations en ligne (féministes, LGBTQ+).
En synthèse : A l’encontre des représentations traditionnelles des sexualités adolescentes à l’écran, de nouvelles séries développent des représentations contemporaines de la sexualité, de l’éducation sexuelle et de l’identité de genre. Cette transition s’opère principalement à travers les plateformes qui s’approprient les combats de la “quatrième vague” du féminisme qui a débuté au tournant des années 2010. En dénonçant les violences sexistes et sexuelles et en mettant en lumière des thèmes peu abordés comme les sexualités féminines ou LGBTQ+ à l’adolescence, les séries permettent à leur public de s’identifier aux personnages et de faire évoluer les mentalités en dehors des domaines militants.
Les mentalités ont évolué et les représentations aussi : aujourd’hui, nombreuses sont les séries qui traitent des sexualités adolescentes au prisme des combats de la “quatrième vague” du féminisme qui a débuté en 2012. Un des jalons de cette vague caractérisée par l’ère des féminismes en ligne, le mouvement MeToo, a accéléré l’apparition des séries de genre féministe. De la réappropriation des corps féminins à la remise en cause des rôles de genre, les séries s’emparent de ces thématiques contemporaines nécessaires pour prendre le contrepied des représentations traditionnelles des sexualités adolescentes et de l’éducation sexuelle.
Des séries qui s’approprient les thèmes de la « quatrième vague »
Si la sexualité est représentée de longue date dans les films et à la télévision, jusqu’aux années 2000, les violences sexistes et sexuelles y étaient banalisées : par exemple, le personnage de Dawson dans la série américaine Dawson Creek (1998-2003) culpabilise et rabaisse régulièrement Jennifer en jugeant ses pratiques sexuelles comme “provocantes”.
C’est aujourd’hui dans les séries que l’on traite le plus des sexualités adolescentes : dès lors que 64% des 15-24 ans en regardent, elles apparaissent comme un moyen efficace de leur transmettre des messages. Mais aujourd’hui, et particulièrement depuis MeToo, un nouveau genre de série féministe apparaît, dans lequel ces violences sont traitées et dénoncées. Dans Grand Army (2020), Joey, jeune fille populaire du lycée, est violée par deux de ses amis. En plus de la violence des actes subis par l’adolescente, la série montre celle dont elle est victime après son agression. Lorsque ses camarades justifient son viol par son attitude provocante (ils la traitent d’ “allumeuse”), Joey se met en quête de preuves envers ses agresseurs : son personnage permet non seulement de dénoncer les violences sexuelles, mais aussi la culpabilisation des victimes. Au-delà des problématiques soulevées par le mouvement MeToo, d’autres thèmes peu abordés dans la sphère éducative et encore moins dans la sphère médiatique apparaissent dans les séries. Les revendications féministes s’accompagnent en effet de la thématisation de la sexualité féminine, invisibilisée dans les “teen movies” d’il y a quelques décennies exclusivement centrés sur celle des hommes. Ainsi, dans Sex Education (2019-2023), lorsque les personnages féminins tels que les lycéennes Maeve et Aimee ou les mères Jean et Maureen en parlent entre elles, leurs discussions contribuent à normaliser le sujet, héritage des mouvements féministes. De même, des adolescentes sans engagement particulier adoptent un champ lexical pourtant issu des cercles militants : les trois héroïnes de Never have I ever (2020-2023) intègrent les termes “patriarcat”, “culture du viol”, “hétéronormativité” ou “masculinité toxique” à leur vocabulaire courant.
Une démarche pédagogique caractéristique
Dans son ouvrage Sex and the series, Iris Brey classe ces contenus comme de l’ “edutainment” ou des “loisirs éducatifs”. Selon elle, ces démarches de vulgarisation des savoirs médicaux sur le corps, la santé et le plaisir sexuels permettent de traiter de ces thématiques souvent perçues comme taboues. L’approche pédagogique de la sexualité choisie par les séries libère la parole, notamment à travers des témoignages et des mises en scène du quotidien. Plusieurs fictions relèvent de cette dynamique en dressant le portrait d’une éducation sexuelle archaïque, qui nuit à la sexualité des adolescentes et adolescents. Dans la série polonaise Sexify (2021-), un prêtre demande à Paulina, une des héroïnes, de ne pas avoir de rapport sexuel avant le mariage ; dans Sex Education, la version anglaise, les éducateurs qualifient le sexe de dangereux et la prévention se réduit à parler de contraception uniquement aux filles. Dans les deux cas, les figures d’autorité se contentent d’évoquer la sexualité uniquement dans le cadre d’un couple hétérosexuel et marié tandis que les sexualités des personnages adolescents se révèlent bien plus diversifiées. Un décalage entre l’éducation sexuelle et la sexualité des jeunes qui les amène à se tourner vers la pornographie et ses représentations majoritairement stéréotypées.
Face à ces adultes défaillants, les jeunes personnages de ces séries entreprennent alors de pallier leur manque d’informations. Là encore, Sex Education et Sexify offrent des représentations similaires. Pendant qu’en Grande-Bretagne, Otis et Maeve montent une “clinique du sexe” pour conseiller leurs camarades, en Pologne, Natalia crée une application sur le plaisir féminin pour son projet de fin d’études. Dans les deux scénarios, les adolescents s’indignent ensuite du manque de pédagogie des chefs d’établissement qui sanctionnent leurs initiatives. Les héroïnes qui se réapproprient leur sexualité font écho à la notion de “self help” issue des mouvements féministes des années 1970, comme par exemple le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) qui revendiquait alors la réappropriation du savoir gynécologique par les femmes elles-mêmes face à la négligence de la médecine centrée sur les hommes.
L’émergence de nouveaux standards d’acceptabilité
Valorisant ces enjeux autrefois cantonnés aux espaces militants, les séries mettent en place de nouveaux standards d’acceptabilité. A travers une approche explicitement pédagogique comme dans Sex Education ou en intégrant simplement des représentations plurielles à leur scénario, elles ouvrent les carcans du modèle classique hétéronormé de la sexualité. La diversité représentée permet non seulement de rendre visibles les sexualités féminines et LBGTQ+ mais aussi de les normaliser, en traitant les histoires d’amour homosexuelles au même titre que toutes les histoires adolescentes. C’est le cas d’Adam et Eric de Sex Education, dont les problèmes de couple sont abordés, sans pour autant oublier les discriminations auxquelles ils font face. La série britannique évoque aussi l’asexualité à travers le personnage d’une jeune fille venant demander conseil à la mère d’un des personnages.
Non seulement ces fictions ouvrent les imaginaires des personnes non concernées, mais elles permettent aussi l’identification des personnes LGBTQ+ au travers des représentations des différentes identités de genre qu’elles font apparaître à l’écran. Le personnage de Nico dans la série espagnole Elite (2018) contribue par exemple à renforcer la représentation des personnes transgenres, tout comme le personnage de Cal dans Sex Education développe celle des personnes non-binaires. Les séries servent ainsi de référence pour la mise en avant de la pluralité des sexualités et des identités de genre en dehors des cercles militants.
L’Observatoire des images, créé en 2021, est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent au rôle des images au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéos et dans les publicités, notamment sur Internet. Convaincu.e.s que les images peuvent figer les représentations et enfermer dans des stéréotypes, ou au contraire permettre l’émancipation et ouvrir le champ des possibles, les partenaires de l’observatoire se sont réunis pour réfléchir et agir ensemble, que ses membres travaillent dans la production, la distribution, le financement, la communication, la recherche, les institutions…
Les objectifs de la coalition sont notamment de : sensibiliser les pouvoirs publics, les professionnels et le public ; développer la recherche sur la réception des images et mettre en lumière les travaux existants ; agréger et soutenir les pratiques professionnelles ; valoriser les projets et les équipes soucieux de lutter contre les clichés.
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