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Baiser volé, est-ce assez ? Guide pratique pour créer un film dénonçant les violences ordinaires

En collaboration avec Nora El Hourch, réalisatrice du film « HLM Pussy » (2024) soutenu par ImpactFilm, un film engagé sur la représentation des différentes réalités des femmes face aux violences sexuelles et sexistes. Nora El Hourch a notamment réalisé le court-métrage Quelques secondes, sélectionné à la Quinzaine des cinéastes au Festival de Cannes en 2015.

En synthèse : Créer un film au sujet d’une violence perçue comme ordinaire peut être laborieux. C’est ce qu’a vécu Nora El Hourch, qui s’est battue pour réaliser HLM Pussy dont l’intrigue porte sur les réactions de trois amies lorsque l’une d’entre elles subit un baiser forcé. Elle a tiré des leçons de ce combat de presque dix ans, et nous les partage.

“Amina, Djeneba et Zineb, trois adolescentes inséparables, postent sur les réseaux sociaux une vidéo mettant en cause Zak, qui a embrassé Zineb de force. Cette vidéo déclenche une vague de soutien sur les réseaux sociaux, mais également de la haine et des menaces, notamment de la part de l’agresseur. Djeneba et Zineb, qui vivent dans la cité, sont les plus exposées. Malgré la peur de perdre ses deux meilleurs amies, Amina lutte pour qu’elles ne cèdent pas aux pressions, et refuse de supprimer la vidéo.” Nora El Hourch, la réalisatrice du film, nous a donné quelques conseils pour produire de nouvelles images qui mettent en lumière des violences qui entrent dans le spectre des violences ordinaires.

N. El Hourch : Des progrès ont été accomplis dans la représentation des femmes à l’écran : certains films de ma jeunesse ne pourraient plus exister aujourd’hui. En revanche, il reste encore beaucoup à faire : le projet de mon film HLM Pussy a été une bataille de presque dix ans, car la violence au cœur de l’intrigue était considérée comme « trop faible » pour provoquer l’engagement.

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Amina à la sortie de son collège.

1- ÊTRE CONVAINCU·E DE SON SUJET, POUR ALLER AU BOUT DE LA LUTTE ET TOUCHER JUSTE

La première leçon que je tire de cette aventure, c’est que la sincérité de l’engagement est nécessaire pour aller au bout de la bataille. Le cœur de l’intrigue de HLM Pussy est un baiser forcé : cette agression a été le motif de refus de potentiels partenaires du film, qui n’y voyaient pas un ressort narratif suffisamment puissant. Ce type de violence est encore souvent minimisé. J’ai refusé de modifier le scénario, et j’ai tenu bon, car je voulais montrer la notion de consentement dans toute sa complexité.

Dans notre société, et sur les écrans, un grand nombre de violences de tous types restent ordinaires : certaines agressions faites aux femmes comme dans HLM Pussy mais aussi le racisme ordinaire, les discriminations envers les personnes en situation de handicap… Dans les films, pour emporter l’adhésion du spectateur, sont privilégiées des scènes dans lesquelles l’injustice est évidente. Ces films sont bien évidemment nécessaires car ces violences ont longtemps été minimisées mais je pense qu’il faut aller plus loin. Le cinéma a le devoir de s’attaquer à ces zones grises, où il y a encore beaucoup de tolérance, pour déplacer la frontière de ce qui est acceptable ou non. Et pour tenir bon face aux obstacles que l’on rencontre, il faut être convaincu·e de l’importance de son film, et avoir un désir viscéral de voir son message porté à l’écran. Cela vient chez moi du fait d’avoir été concernée par ces violences.

Les thèmes que j’aborde avec ce film me touchent ce qui m’a beaucoup aidée à donner de la profondeur aux personnages, et à éviter les clichés. Amina, Djeneba et Zineb portent chacune en elles une partie de ma personnalité et de mon combat. Elles me permettent aussi de montrer les failles sociales et culturelles qui existent et rendent hétéroclites les réalités de chaque femme face aux violences sexistes et sexuelles qui se passent partout et tout le temps.

2- ÊTRE ENTOURÉ·E DE PERSONNE QUI PARTAGENT LE MÊME COMBAT

Un film n’existe pas sans équipe technique. Avec le tout petit budget de 500 000 € que nous avons rassemblé, toute l’équipe était payée au SMIC. Ils ont accepté de participer au projet pour son message et son scénario et je leur en suis extrêmement reconnaissante, car sans eux HLM Pussy n’aurait pas vu le jour. La même question s’est posée pour les acteurs et actrices du film : personne ne m’a suivie pour l’argent. Par exemple, Bérénice Béjo a accepté de jouer dans HLM Pussy car son message lui tenait à cœur.

Les comédiens et comédiennes m’ont également permis d’apporter du réalisme et de la sincérité au film en se réappropriant les dialogues pour les rendre plus justes. Il m’est même arrivé de leur demander de parler « moins jeune », pour qu’on comprenne ce qu’ils disent ! Cela a fonctionné car ils se sentaient directement concernés par les problématiques de leurs personnages.

Enfin, j’ai été soutenue par mes producteurs et ma distributrice, qui partagent ma vision et mon engagement. Il existe également quelques rares partenaires financiers, comme ImpactFilm, qui soutiennent explicitement cette typologie de films qui veulent faire bouger les lignes. Mettre en lumière des violences considérées comme ordinaires ne peut se faire sans des équipes convaincues de l’importance du message porté à l’écran. Les personnes avec qui j’ai eu la chance de travailler étaient passionnées, et ont beaucoup donné à HLM Pussy, ce qui explique son énergie.

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Amina, Zineb et Djeneba devant leur collège.

3- FAIRE PARLER DU FILM COÛTE QUE COÛTE

Notre monde actuel est plus violent : les nouvelles générations sont nées avec un portable dans la main et les réseaux sociaux dans la tête, elles sont confrontées très tôt aux problèmes sociétaux et à la réalité de nombreuses injustices. En même temps, ces générations ont les cartes en main pour dénoncer et se battre, comme ce fut le cas avec #MeToo. C’est tout le paradoxe d’HLM Pussy : le personnage d’Amina a l’impression que la seule justice capable d’aider son amie se trouve sur les réseaux sociaux, mais ces mêmes réseaux sociaux vont propager des rumeurs mensongères sur ses amies. J’espère que le plus de gens possible vont voir le film, notamment de jeunes gens, car la clé désormais c’est la diffusion !

Le monde évolue : on connaît le mot «cconsentement » et ses enjeux, mais cela ne se traduit pas nécessairement par des actes, il y a une omerta généralisée. Il faut continuer d’éduquer et je pense que l’art dont le cinéma peut aider à éveiller les consciences et bousculer les idées reçues. Depuis la sortie de HLM Pussy, j’ai reçu des messages de victimes, de familles de victimes, mais aussi de professeur·es qui me disent qu’il est indispensable que leurs élèves voient le film. Une personne m’a même affirmé qu’HLM Pussy était un « mode d’emploi du consentement », alors je me dis que ce film peut peut-être modestement contribuer à faire évoluer les regards.

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L’Observatoire des images, créé en 2021, est le premier organe associatif regroupant celles et ceux qui s’intéressent au rôle des images au cinéma, à la télévision, dans les jeux vidéos et dans les publicités, notamment sur Internet. Convaincu.e.s que les images peuvent figer les représentations et enfermer dans des stéréotypes, ou au contraire permettre l’émancipation et ouvrir le champ des possibles, les partenaires de l’observatoire se sont réunis pour réfléchir et agir ensemble, que ses membres travaillent dans la production, la distribution, le financement, la communication, la recherche, les institutions…

Les objectifs de la coalition sont notamment de : sensibiliser les pouvoirs publics, les professionnels et le public ; développer la recherche sur la réception des images et mettre en lumière les travaux existants ; agréger et soutenir les pratiques professionnelles ; valoriser les projets et les équipes soucieux de lutter contre les clichés.

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